Читать онлайн книгу "La Liaison Idéale"

La Liaison IdГ©ale
Blake Pierce


Un thriller psychologique avec Jessie Hunt #7
« Dans ce chef-d’œuvre de suspense et de mystère, Blake Pierce a magnifiquement développé ses personnages en les dotant d’un versant psychologique si bien décrit que nous avons la sensation d’être à l’intérieur de leur esprit, de suivre leurs angoisses et de les encourager afin qu’ils réussissent. Plein de rebondissements, ce livre vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière page. »

–-Books and Movie Reviews, Roberto Mattos (à propos de SANS LAISSER DE TRACES)



LA LIAISON IDÉALE est le septième tome d’une nouvelle série de suspense psychologique par l’auteur à succès Blake Pierce, dont le best-seller n°1, SANS LAISSER DE TRACES (disponible en téléchargement gratuit), a obtenu plus de 1000 critiques à cinq étoiles.



Une star du porno est retrouvée morte et la Police de Los Angeles n’en pense pas grand-chose, mais l’agent du FBI Jessie Hunt, 29 ans, sent qu’il se trame des événements beaucoup plus sinistres qui pourraient avoir des liens avec les échelons supérieurs du pouvoir et de la société.



Thriller psychologique palpitant aux personnages inoubliables et au suspense haletant, LA LIAISON IDÉALE est le tome 7 d’une nouvelle série fascinante qui vous tiendra éveillé tard la nuit.



Le tome 8 de la sГ©rie Jessie Hunt sera bientГґt disponible.





Blake Pierce

LA LIAISON IDÉALE




la liaison idГ©ale




(roman de suspense psychologique avec Jessie Hunt, tome 7)




b l a k eВ В  p i e r c e



Blake Pierce

Blake Pierce est l’auteur de la série à succès mystère RILEY PAIGE, qui comprend dix-sept volumes (pour l’instant). Black Pierce est également l’auteur de la série mystère MACKENZIE WHITE, comprenant quatorze volumes (pour l’instant) ; de la série mystère AVERY BLACK, comprenant six volumes ; et de la série mystère KERI LOCKE, comprenant cinq volumes ; de la série mystère LES ORIGINES DE RILEY PAIGE, comprenant six volumes (pour l’instant), de la série mystère KATE WISE comprenant sept volumes (pour l’instant) et de la série de mystère et suspense psychologique CHLOE FINE, comprenant six volumes (pour l’instant) ; de la série de suspense psychologique JESSE HUNT, comprenant sept volumes (pour l’instant), ; de la série de mystère et suspense psychologique LA FILLE AU PAIR, comprenant deux volumes (pour l’instant) ; et de la série de mystère ZOÉ PRIME, comprenant trois volumes (pour l’instant) ; de la nouvelle série de mystère ADÈLE SHARP et de la nouvelle série mystère VOYAGE EUROPÉEN.



Lecteur avide et admirateur de longue date des genres mystère et thriller, Blake aimerait connaître votre avis. N’hésitez pas à consulter son site www.blakepierceauthor.com afin d’en apprendre davantage et de rester en contact.








Copyright В© 2020 by Blake Pierce. Tous droits rГ©servГ©s. Sauf autorisation selon Copyright Act de 1976 des U.S.A., cette publication ne peut ГЄtre reproduite, distribuГ©e ou transmise par quelque moyen que ce soit, stockГ©e sur une base de donnГ©es ou stockage de donnГ©es sans permission prГ©alable de l'auteur. Cet ebook est destinГ© Г  un usage strictement personnel. Cet ebook ne peut ГЄtre vendu ou cГ©dГ© Г  des tiers. Vous souhaitez partager ce livre avec un tiers, nous vous remercions d'en acheter un exemplaire. Vous lisez ce livre sans l'avoir achetГ©, ce livre n'a pas Г©tГ© achetГ© pour votre propre utilisation, retournez-le et acheter votre propre exemplaire. Merci de respecter le dur labeur de cet auteur. Il s'agit d'une Е“uvre de fiction. Les noms, personnages, sociГ©tГ©s, organisations, lieux, Г©vГЁnements ou incidents sont issus de l'imagination de l'auteur et/ou utilisГ©s en tant que fiction. Toute ressemblance avec des personnes actuelles, vivantes ou dГ©cГ©dГ©es, serait purement fortuite. Photo de couverture CopyrightВ  Mimadeo sous licence Shutterstock.com.



LIVRES PAR BLAKE PIERCE

LES MYSTГ€RES DE ADГ€LE SHARP

LAISSГ€ POUR MORT (Volume 1)

CONDAMNГ€ ГЂ FUIR (Volume 2)

CONDAMNГ€ ГЂ SE CACHER (Volume 3)



LA FILLE AU PAIR

PRESQUE DISPARUE (Livre 1)

PRESQUE PERDUE (Livre 2)

PRESQUE MORTE (Livre 3)



LES MYSTГ€RES DE ZOE PRIME

LE VISAGE DE LA MORT (Tome 1)

LE VISAGE DU MEURTRE (Tome 2)

LE VISAGE DE LA PEUR (Tome 3)



SÉRIE SUSPENSE PSYCHOLOGIQUE JESSIE HUNT

LA FEMME PARFAITE (Volume 1)

LE QUARTIER IDÉAL (Volume 2)

LA MAISON IDÉALE (Volume 3)

LE SOURIRE IDÉALE (Volume 4)

LE MENSONGE IDÉALE (Volume 5)

LE LOOK IDÉAL (Volume 6)

LA LIAISON IDÉALE (Volume 7)



SÉRIE SUSPENSE PSYCHOLOGIQUE CHLOE FINE

LA MAISON D’À CÔTÉ (Volume 1)

LE MENSONGE D’UN VOISIN (Volume 2)

VOIE SANS ISSUE (Volume 3)

LE VOISIN SILENCIEUX (Volume 4)

DE RETOUR ГЂ LA MAISON (Volume 5)

VITRES TEINTÉES (Volume 6)



SÉRIE MYSTÈRE KATE WISE

SI ELLE SAVAIT (Volume 1)

SI ELLE VOYAIT (Volume 2)

SI ELLE COURAIT (Volume 3)

SI ELLE SE CACHAIT (Volume 4)

SI ELLE S’ENFUYAIT (Volume 5)

SI ELLE CRAIGNAIT (Volume 6)

SI ELLE ENTENDAIT (Volume 7)



LES ORIGINES DE RILEY PAIGE

SOUS SURVEILLANCE (Tome 1)

ATTENDRE (Tome 2)

PIEGE MORTEL (Tome 3)

ESCAPADE MEURTRIERE (Tome 4)

LA TRAQUE (Tome 5)



LES ENQUГЉTES DE RILEY PAIGE

SANS LAISSER DE TRACES (Tome 1)

RÉACTION EN CHAÎNE (Tome 2)

LA QUEUE ENTRE LES JAMBES (Tome 3)

LES PENDULES À L’HEURE (Tome 4)

QUI VA ГЂ LA CHASSE (Tome 5)

À VOTRE SANTÉ (Tome 6)

DE SAC ET DE CORDE (Tome 7)

UN PLAT QUI SE MANGE FROID (Tome 8)

SANS COUP FÉRIR (Tome 9)

ГЂ TOUT JAMAIS (Tome 10)

LE GRAIN DE SABLE (Tome 11)

LE TRAIN EN MARCHE (Tome 12)

PIÉGÉE (Tome 13)

LE RÉVEIL (Tome 14)

BANNI (Tome 15)

MANQUE (Tome 16)

CHOISI (Tome 17)



UNE NOUVELLE DE LA SÉRIE RILEY PAIGE

RÉSOLU



SÉRIE MYSTÈRE MACKENZIE WHITE

AVANT QU’IL NE TUE (Volume 1)

AVANT QU’IL NE VOIE (Volume 2)

AVANT QU’IL NE CONVOITE (Volume 3)

AVANT QU’IL NE PRENNE (Volume 4)

AVANT QU’IL N’AIT BESOIN (Volume 5)

AVANT QU’IL NE RESSENTE (Volume 6)

AVANT QU’IL NE PÈCHE (Volume 7)

AVANT QU’IL NE CHASSE (Volume 8)

AVANT QU’IL NE TRAQUE (Volume 9)

AVANT QU’IL NE LANGUISSE (Volume 10)

AVANT QU’IL NE FAILLISSE (Volume 11)

AVANT QU’IL NE JALOUSE (Volume 12)

AVANT QU’IL NE HARCÈLE (Volume 13)

AVANT QU’IL NE BLESSE (Volume 14)



LES ENQUÊTES D’AVERY BLACK

RAISON DE TUER (Tome 1)

RAISON DE COURIR (Tome2)

RAISON DE SE CACHER (Tome 3)

RAISON DE CRAINDRE (Tome 4)

RAISON DE SAUVER (Tome 5)

RAISON DE REDOUTER (Tome 6)



LES ENQUETES DE KERI LOCKE

UN MAUVAIS PRESSENTIMENT (Tome 1)

DE MAUVAIS AUGURE (Tome 2)

L’OMBRE DU MAL (Tome 3)

JEUX MACABRES (Tome 4)

LUEUR D’ESPOIR (Tome 5)




CHAPITRE PREMIER


Des coups de feu retentirent, tirant brusquement Jessie de son sommeil.

À moitié réveillée, elle sortit de son lit, saisit son arme sur la table de chevet et se précipita vers la porte de la chambre. Les coups de feu donnaient l’impression d’avoir été tirés dans le salon. Elle jeta un coup d’œil au réveil. Il était 1 h 08 du matin.

Sans se demander comment l’intrus avait pu déjouer les mesures de sécurité strictes de son immeuble d’appartements, elle se concentra sur ce qu’elle avait à faire. Il y avait une menace de l’autre côté de cette porte. Elle n’était pas la seule à être en danger. Hannah dormait dans la chambre d’amis de l’autre côté du salon.

Jessie inspira longuement et lentement avant d’ouvrir la porte et de regarder à l’extérieur. Elle vit une lueur faible dans la pièce puis une deuxième volée de tirs la força à se retrancher derrière le mur. Est-ce que l’attaquant l’avait vue ? Alors qu’elle se préparait à entrer dans le salon en rampant, elle entendit une voix.

– Tu es encerclé, Johnny. Sors les mains en l’air, ordonna une voix mâle sévère.

Soudain, on entendit une musique de film menaçante.

– Vous ne m’aurez pas vivant ! cria quelqu’un avec un accent qui évoquait distinctement un gangster.

Jessie s’autorisa à respirer normalement pour la première fois en trente secondes. Baissant son arme, elle se releva et entra dans le salon, où elle vit la télévision allumée. La chaîne en question diffusait un vieux film de gangsters en noir et blanc.

Jessie saisit la télécommande sur la table basse et éteignit la télévision. Le cœur battant encore la chamade, elle traversa le salon en évitant les vêtements, les chaussures et les magazines éparpillés par terre puis elle arriva à la porte ouverte de la chambre d’Hannah.

Elle y passa la tГЄte et vit sa demi-sЕ“ur de dix-sept ans, Hannah Dorsey, blottie sur le lit, endormie. La jeune fille avait repoussГ© les couvertures Г  coups de pieds et frissonnait lГ©gГЁrement en se serrant dans ses propres bras.

Jessie approcha sur la pointe des pieds, saisit la couette et la reposa doucement sur Hannah, qui marmonnait quelque chose d’inintelligible. La profileuse criminelle se tint au-dessus d’elle en essayant de distinguer des mots mais, quelques secondes plus tard, elle décida que cela ne donnerait rien et y renonça.

Elle repartit à la porte sur la pointe des pieds, jeta un dernier coup d’œil en arrière puis ferma la porte. Elle soupira profondément. Malgré ses demandes répétées, c’était la troisième fois cette semaine que Hannah laissait la télévision allumée avant d’aller se coucher. Heureusement, c’était la première fois que Jessie était réveillée par les coups de feu d’un film de gangsters.

Une partie d’elle-même voulait secouer la jeune fille pour la réveiller et la forcer à éteindre la télévision elle-même mais, comme elle l’avait récemment appris dans le bulletin d’informations en ligne sur l’éducation des enfants auquel elle était maintenant abonnée, les adolescents avaient apparemment besoin de dormir beaucoup plus longtemps pour satisfaire les besoins suscités par la croissance de leur corps et de leur esprit. De plus, si elle interrompait le sommeil d’Hannah pour lui adresser ses remontrances, demain, elle devrait subir encore plus de morosité de la part de la jeune fille.

En retraversant le salon pour repartir au lit, elle se demanda quel bulletin d’informations en ligne indiquait aux professionnelles de presque trente ans comment dormir décemment de temps en temps. Alors qu’elle souriait, elle trébucha sur une chaussure que Hannah avait laissée au milieu de la pièce, tomba au sol et heurta le bois dur du plancher du genou gauche.

Elle se força à étouffer le juron qu’elle avait envie de hurler, gémit discrètement, se redressa et repartit au lit en boitant. Avec sa douleur au genou, son cœur qui palpitait encore et mille idées qui se bousculaient dans sa tête, elle se résigna à passer une autre nuit à moitié blanche grâce à l’adolescente qu’elle avait accepté de laisser habiter chez elle.

Je crois que je dormais mieux quand j’étais pourchassée par un tueur en série.

Son humour noir la fit rire mais ne l’aida pas à s’endormir.


*

– Je n’ai pas fait ça, insista Hannah avec colère.

Assise à la table de petit déjeuner en face de la jeune fille, Jessie était stupéfaite. Elle n’arrivait pas à croire qu’elle nie l’évidence.

– Hannah, il y a seulement deux personnes qui habitent ici. Je me suis couchée avant toi. Quand je t’ai souhaité une bonne nuit, tu étais en train de regarder la télévision. Quand j’ai été réveillée au milieu de la nuit, elle était allumée. Pas la peine de travailler pour la Police de Los Angeles pour savoir qui a laissé la télévision allumée.

Hannah la regarda fixement, ses yeux verts pleins de conviction.

– Jessie, je ne veux pas te manquer de respect, mais tu as avoué que tu avais eu des problèmes de sommeil ces derniers temps. De plus, à ton âge, la mémoire commence à baisser un peu. Ne serait-il pas possible que tu aies oublié une chose que tu aurais réellement faite et que tu me la reproches parce que tu adhères au stéréotype de l’adolescente paresseuse et distraite ?

Jessie la regarda fixement, interloquée par son audace. C’était stupéfiant de mentir sur une chose aussi évidente sans raison visible.

– Tu sais que je gagne ma vie en pourchassant les tueurs en série, d’accord ? lui rappela-t-elle. Il y a peu de chances que tu me mènes en bateau.

Hannah prit la dernière bouchée de son toast et se leva. Ses cheveux blond sable lui tombèrent par-dessus le visage quand elle s’étira de tout son corps dégingandé d’un mètre soixante-quinze, seulement deux centimètres et demi de moins que Jessie.

– N’avons-nous pas rendez-vous avec la psychothérapeute ce matin ? demanda-t-elle en ignorant complètement ce que venait de dire Jessie. Je pensais que c’était à neuf heures. Il est huit heures trente-deux.

Elle repartit dans sa chambre pour finir de s’habiller en laissant son assiette et sa tasse vide sur la table. Jessie se retint de l’appeler et de lui dire de mettre ses affaires dans le lave-vaisselle.

Elle se rappela les limites qu’elle s’était imposées quand Hannah était venue habiter chez elle deux mois auparavant. Elle n’était pas et n’essaierait pas d’être la parente de cette fille. Sa mission était de fournir un environnement sécurisé à la demi-sœur dont elle venait de faire la connaissance pour qu’elle puisse se remettre après une série d’incidents traumatisants. Sa mission était d’aider Hannah à guérir et à réintégrer un monde qui semblait l’encercler de dangers. Sa mission était d’être une source de soutien et de sécurité. Jessie savait tout ça instinctivement et intellectuellement, et pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de se demander pourquoi donc cette fille ne pouvait pas ranger une foutue assiette.

En faisant la vaisselle, elle se dit pour la millième fois que tout cela était normal, que Hannah faisait l’imbécile pour contrôler sa propre vie, chose qu’elle n’avait pas du tout pu faire ces derniers temps, que ce n’était pas personnel et que ça ne durerait pas éternellement.

Elle se dit toutes ces choses mais, en son for intérieur, elle n’était pas sûre d’y croire. Une partie d’elle-même craignait qu’il ne se passe d’autres choses plus sombres en Hannah, des choses qui pourraient s’avérer irréversibles.




CHAPITRE DEUX


Jessie devenait nerveuse.

Elle savait que la séance de Hannah avec la docteure Lemmon allait bientôt se terminer. Est-ce que la jeune fille allait sortir du bureau en pleurs, comme la dernière fois, ou impassible, comme les deux d’avant ?

Si quelqu’un pouvait parler à Hannah, Jessie croyait fermement que c’était la docteure Janice Lemmon. Malgré son apparence sans prétention, cette femme méritait le respect. Son petit corps, sa permanente blonde serrée et ses lunettes épaisses donnaient plus à cette psychothérapeute behavioriste de la soixantaine l’apparence d’une grand-mère que celle d’une des expertes les plus renommées de la côte ouest sur les comportements aberrants. Cependant, sous cette apparence ordinaire, il y avait une femme tellement respectée qu’il lui arrivait encore de fournir des services de consultante à la Police de Los Angeles, au FBI et à d’autres organisations dont elle ne parlait jamais. Elle était aussi la psychothérapeute de Jessie.

D’abord, Jessie avait craint que lui demander de traiter aussi Hannah ne soit un conflit d’intérêts. Cependant, après en avoir discuté avec elle, elles avaient convenu qu’il n’existait que quelques docteurs qui aient les compétences pour traiter une fille qui avait vécu les traumatismes de Hannah. Or, comme la docteure Lemmon était déjà au courant de certains détails intimes de l’histoire familiale de Hannah, il était logique de la choisir.

Après tout, c’était la docteure Lemmon qui avait aidé Jessie à affronter le fait que son père était le célèbre tueur en série Xander Thurman. C’était la docteure Lemmon qui avait permis à Jessie de surmonter les cauchemars et l’anxiété dont elle souffrait après avoir regardé son père tuer sa mère quand elle avait eu six ans. C’était la docteure Lemmon qui lui avait donné la force de révéler que son père l’avait laissée seule dans une cabane, vouée à une mort certaine, piégée trois jours par la neige à côté du cadavre en cours de putréfaction de la femme qu’elle avait appelée maman. C’était la docteure Lemmon qui avait aidé à lui donner l’assurance dont elle avait eu besoin pour se battre contre son père quand il était revenu dans sa vie vingt-trois ans plus tard avec pour objectif de la transformer en une tueuse qui se joindrait à lui ou de la tuer si elle refusait.

Elle était la seule psychothérapeute capable de traiter sa demi-sœur, qui avait le même père et des cauchemars aussi violents que Jessie. Seulement quelques mois auparavant, Thurman avait kidnappé Hannah et ses parents adoptifs et forcé la jeune fille à regarder pendant qu’il les massacrait. De plus, il avait presque tué Jessie devant elle. Seules leur réactivité et leur endurance avaient fait pencher la balance en leur faveur et permis la mort de Thurman.

Cependant, même après ça, le traumatisme de Hannah n’avait pas pris fin. Seulement quelques mois après la mort de ses parents adoptifs, un tueur en série totalement différent du nom de Bolton Crutchfield, acolyte du père de Jessie et obsédé par sa fille, avait tué les parents adoptifs de Hannah en sa présence et l’avait enlevée. Il l’avait détenue dans un sous-sol isolé pendant une semaine en essayant de l’endoctriner, de la transformer en assassin comme Thurman et lui-même.

Elle avait aussi survécu à cette horreur, sauvée par Jessie et une trahison habile de sa propre concoction. Bolton Crutchfield avait été abattu et, bien qu’il ne soit plus une menace physique, Jessie craignait qu’il n’ait réussi à s’insinuer dans l’esprit de Hannah, à la corrompre en lui imposant ses croyances malsaines basées sur le nihilisme et le sang.

Jessie se releva, en partie pour s’étirer mais aussi parce qu’elle sentait qu’elle se laissait aspirer par ses angoisses. Elle se regarda dans le miroir de la salle d’attente. Elle dut admettre que, même si elle avait passé les deux derniers mois à assumer le rôle inattendu de tutrice d’une adolescente perturbée, elle était encore présentable.

Ses yeux verts étaient brillants et clairs. Ses cheveux marron mi-longs étaient propres, traités avec de l’après-shampoing et détachés, sans la queue de cheval qu’elle portait habituellement au travail. Comme cela faisait longtemps qu’elle ne craignait plus d’être pourchassée par un tueur en série, elle avait réussi à retrouver une routine professionnelle quasi-normale et son corps d’un mètre soixante-dix-sept avait récupéré une force et une solidité qu’il avait perdues pendant un certain temps.

Le plus impressionnant, c’était qu’aucune de ses affaires récentes n’avaient contenu de fusillades, d’agressions au couteau ou de blessures personnelles de quelque sorte que ce soit. Par conséquent, elle n’avait pas ajouté de cicatrices à sa grande collection, qui comprenait une plaie perforante à l’abdomen, des plaies longues aux bras et aux jambes et une longue cicatrice rosâtre en forme de croissant de lune qui parcourait une ligne horizontale de douze centimètres et demi en allant de la clavicule, à la base du cou, à l’épaule droite.

Elle se la toucha machinalement, se demandant si, bientôt, quelqu’un la verrait avec toutes les autres. Elle sentait qu’elle et Ryan se rapprochaient du jour où ils pourraient examiner de près les imperfections physiques de l’autre.

En plus d’être un collègue avec lequel Jessie travaillait régulièrement sur des affaires, l’inspecteur Ryan Hernandez était son petit copain. Elle trouvait ce terme étrange, mais c’était la réalité. À peu près depuis que Hannah habitait avec elle, ils sortaient ensemble de manière presque régulière et, même s’ils n’étaient pas encore allés jusqu’au bout, ils savaient tous les deux que ça arriverait bientôt. L’anticipation et la maladresse que cela causait rendaient leur ambiance de travail un peu particulière.

Jessie fut arrachée à ses pensées par l’ouverture de la porte. Hannah sortit et elle n’avait l’air ni bouleversée ni renfermée. Elle avait l’air bizarrement … normale, ce qui, vu tout ce qu’elle avait subi, paraissait bizarre en soi.

La docteure Lemmon la suivit dans la salle d’attente et croisa le regard de Jessie.

– Hannah, dit-elle, je veux parler quelques minutes à Jessie. Tu veux bien attendre un peu ici ?

– Pas de problème, répondit Hannah en s’asseyant. Vous pourrez revenir quand vous aurez décidé toutes les deux si je suis complètement folle. Je me contenterai d’avertir l’État de vos nombreuses violations des lois sur la santé.

– Bonne idée, dit chaleureusement la docteure Lemmon sans mordre à l’hameçon. Entrez, Jessie.

Jessie s’installa dans la causeuse qu’elle utilisait pour ses propres séances et la docteure Lemmon s’assit sur la chaise en face d’elle.

– Restons brefs, dit la docteure Lemmon. Malgré son sarcasme, je ne crois pas qu’il soit bon que Hannah craigne que je vous communique des informations sur ce qu’elle dit, même si je lui ai assuré que je ne le ferais jamais.

– Parce que vous ne voulez pas ou parce que vous ne pouvez pas ? insista Jessie.

– Comme elle a encore moins de dix-huit ans et que vous êtes sa tutrice, théoriquement, vous pourriez insister pour savoir, mais je crois que cela saperait le climat de confiance que j’essaie d’instaurer avec elle. Il m’a fallu longtemps pour qu’elle accepte de s’ouvrir de manière conséquente. Je ne veux pas risquer de perdre ça.

– Compris, dit Jessie. Donc, pourquoi vouliez-vous me parler ?

– Parce que je m’inquiète. Sans entrer dans les détails, je dirai juste que, sauf pendant une séance où Hannah a témoigné quelque émotion sur ce qu’elle a subi, elle a été presque constamment … imperturbable. Avec le recul et après avoir fait sa connaissance, je soupçonne que cette unique manifestation d’émotions a peut-être eu pour but de me faire plaisir. Hannah semble s’être dissociée des événements qui se sont produits, comme si elle en avait été l’observatrice plutôt qu’une participante.

– Cela ne semble pas étonnant, dit Jessie. En fait, ça me paraît trop familier pour être réconfortant.

– Et je vous comprends, convint la docteure Lemmon. Vous avez traversé vous-même une période de ce type. C’est une méthode que le cerveau utilise très couramment pour gérer les traumatismes personnels. Il n’est pas inhabituel de compartimenter ou de se déconnecter des événements traumatiques. Ce qui m’inquiète, c’est que Hannah ne semble pas le faire pour se protéger contre la douleur provoquée par ce qui lui est arrivé. Elle semble avoir simplement effacé la douleur de son organisme, presque comme un disque dur que l’on vide. C’est comme si elle considérait ce qu’elle a subi moins comme de la souffrance que comme des choses qui se sont produites. Elle s’est auto-anesthésiée pour ne pas les considérer comme des choses liées à elle-même ou à sa famille.

– Et j’imagine que ce n’est pas très sain ? demanda Jessie d’un air songeur en remuant nerveusement sur la causeuse.

– Je ne voudrais pas juger ça, dit la docteure Lemmon avec son sens habituel de la mesure, car cela semble fonctionner pour elle. Ce qui m’inquiète, c’est où ça peut mener. Les gens qui ne sont pas capables de puiser dans leur propre douleur émotionnelle peuvent parfois atteindre un point où ils n’arrivent plus à reconnaître la douleur d’autrui, qu’elle soit émotionnelle ou physique. Leur capacité à ressentir de l’empathie disparaît. Cela peut souvent mener à des comportements socialement inacceptables.

– Ce que vous me décrivez ressemble à une attitude sociopathe, signala Jessie.

– Oui, convint la docteure Lemmon. Les sociopathes affichent effectivement certaines de ces caractéristiques. Comme j’ai passé trop peu de temps avec Hannah, je ne lui diagnostiquerais pas formellement cette pathologie. Son attitude n’est peut-être qu’un syndrome de stress post-traumatique profond. Cependant, avez-vous remarqué des comportements susceptibles de concorder avec ce que j’ai décrit ?

Jessie réfléchit aux quelques derniers mois en commençant par le mensonge inexplicable et dénué de sens de ce matin sur la télévision. Elle se souvint que Hannah s’était plainte quand Jessie avait insisté pour emmener chez un vétérinaire un chaton malade et errant qu’elles avaient trouvé dans une ruelle, caché sous une benne à ordures. Elle se souvint que la jeune fille pouvait rester muette pendant des heures en dépit de tous les efforts que Jessie déployait pour la faire sortir de sa coquille. Elle repensa à la fois où elle avait emmené Hannah à la salle de gym et où sa demi-sœur avait commencé à taper sur le sac de sable sans gants et avait continué jusqu’au moment où elle avait eu les mains à vif et en sang.

Toutes ces attitudes semblaient concorder avec la description de la docteure Lemmon, mais on pouvait tout aussi facilement les interpréter comme la lutte d’une jeune femme contre sa douleur intérieure. Rien de cela ne signifiait qu’elle était une sociopathe en herbe. Jessie ne voulait pas coller cette étiquette à Hannah, même avec la docteure Lemmon.

– Non, mentit-elle.

La psychothérapeute la regarda, visiblement peu convaincue, mais elle n’insista pas et passa à un autre sujet important.

– Et l’école ? demanda-t-elle.

– Elle a commencé la semaine dernière. Je l’ai placée dans ce lycée thérapeutique que vous avez recommandé.

– Oui, on en a discuté brièvement, elle et moi, reconnut la docteure Lemmon. Elle n’avait pas l’air très impressionnée. Est-ce aussi votre impression ?

– Je crois qu’elle a exprimé son opinion en demandant combien de temps elle allait devoir fréquenter ces drogués et ces suicidaires avant de repartir dans une école digne de ce nom.

La docteure Lemmon hocha la tête. Visiblement, elle n’était pas étonnée.

– Je vois, dit-elle. Elle a été légèrement moins franche avec moi. Je comprends sa frustration, mais je crois qu’il faut que nous l’aidions dans un environnement sécurisé et très supervisé pendant au moins un mois avant d’envisager de la réintégrer progressivement dans un lycée traditionnel.

– Je comprends, mais je sais qu’elle est frustrée. Elle était censée avoir son bac cette année mais, avec tous les cours qu’elle a ratés, même dans un lycée traditionnel, elle devrait aller à une école d’été. Elle n’est pas très enthousiaste à l’idée de finir avec, comme elle les a appelés, �les épuisés et les débiles’.

– Une chose à la fois, dit calmement la docteure Lemmon. Passons à autre chose. Comment allez-vous ?

Jessie rit malgré elle-même. Où commencer ? Avant qu’elle n’ait pu le faire, la docteure Lemmon poursuivit.

– Bien évidemment, nous n’avons pas le temps pour une séance complète maintenant, mais comment vous débrouillez-vous ? Vous vous retrouvez responsable d’une mineure, vous découvrez une nouvelle relation avec un collègue, votre travail exige que vous vous mettiez à la place d’assassins brutaux et vous êtes émotionnellement bouleversée après avoir dû tuer deux tueurs en série, dont votre père. Ça fait beaucoup à gérer.

Jessie se força à sourire.

– Quand vous le présentez comme ça, ça a l’air impressionnant.

La docteure Lemmon ne rendit pas son sourire Г  Jessie.

– Je suis sérieuse, Jessie. Il faut que vous restiez consciente de votre santé mentale personnelle. Cette période n’est pas dangereuse que pour Hannah. Vous risquez aussi de régresser. Ne prenez pas ce risque à la légère.

Jessie cessa de sourire mais resta imperturbable.

– Je suis consciente des risques, docteure, et je fais de mon mieux pour prendre soin de moi-même, mais je ne peux pas partir en congé. Le monde ne me laisse pas en paix et, si j’arrête de bouger, je vais me faire écraser.

– Je ne suis pas sûre que ce soit vrai, Jessie, dit doucement la docteure Lemmon. Parfois, si vous arrêtez de progresser, le monde fait demi-tour et vous pouvez y reprendre votre place. Vous êtes précieuse mais ne soyez pas arrogante. Vous n’êtes pas indispensable à ce monde au point de ne pas pouvoir vous reposer de temps à autre.

Jessie hocha la tête d’un air agressif et sarcastique.

– Compris, dit-elle en faisant semblant de prendre des notes. Je ne dois pas être arrogante et je ne suis pas indispensable.

La docteure Lemmon retroussa les lèvres, l’air aussi agacée qu’elle était susceptible de le révéler. Jessie essaya de passer à autre chose.

– Comment va Garland ? demanda-t-elle d’un air taquin.

– Pardon ? dit la docteure Lemmon.

– Vous savez, Garland Moses, le consultant en profilage pour la Police de Los Angeles, celui qui m’a aidée à trouver et à sauver Hannah, cet homme mûr à l’air négligé tout aussi charmant que désinvolte.

– Je connais M. Moses, Jessie. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi vous me posez des questions sur lui.

– Juste comme ça, dit Jessie, sentant qu’elle était tombée sur un sujet sensible. C’est juste qu’il a parlé de vous il y a quelque temps et que son ton m’a suggéré que vous étiez en de bons termes, vous et lui. Donc, je me demandais comment il allait.

– Je crois que nous en avons terminé pour aujourd’hui, dit brusquement la docteure Lemmon.

– Ouah, dit Jessie, qui souriait sincèrement, à présent. Vous avez vraiment baissé le pont-levis très vite, docteure.

La docteure Lemmon se releva et fit signe qu’elles devaient se diriger vers la sortie. Jessie décida de lâcher du lest. Quand elles atteignirent la porte, elle se retourna vers la psychothérapeute et lui posa la question qui l’obsédait depuis plusieurs minutes.

– Sérieusement, docteure, si Hannah prend un chemin où elle a du mal à ressentir de l’empathie pour d’autres personnes, y a-t-il un moyen d’inverser le processus ?

La docteure Lemmon s’arrêta et regarda Jessie droit dans les yeux.

– Jessie, j’ai passé trente-cinq ans de ma vie à essayer de répondre à des questions comme celle-là. La meilleure réponse que je puisse vous donner est : je l’espère.




CHAPITRE TROIS


Lizzie Polacnyk rentra Г  la maison trГЁs en retard.

Elle avait prévu d’être de retour de sa séance de cercle d’études à l’Université d’État de Californie—Northridge avant 19 h, mais ils avaient un examen important de psychologie le lendemain et tous les membres du groupe s’étaient interrogés mutuellement sans relâche. Quand ils avaient arrêté pour la journée, il avait été plus de 21 h.

Quand Lizzie ouvrit la porte d’entrée de son appartement, il était presque 21 h 45. Elle essaya de rester silencieuse, se souvenant que Michaela avait commencé à 6 heures ce matin, qu’elle recommencerait à la même heure le lendemain et qu’elle devait être profondément endormie maintenant.

Sur la pointe des pieds, Lizzie avança dans le hall jusqu’à sa chambre et eut la surprise de voir une lumière sous la porte de Michaela. Quand Michaela devait se lever à 5 heures du matin, elle n’avait pas l’habitude de veiller tard. Lizzie se demanda si son amie de longtemps et colocataire récente avait simplement été fatiguée au point de s’endormir la lumière allumée. Elle décida de jeter un coup d’œil à l’intérieur et d’éteindre la lumière si nécessaire.

Quand elle entrebГўilla la porte, elle vit que Michaela Г©tait allongГ©e sur le dos sans les couvertures. Son oreiller lui recouvrait partiellement le visage. Comme seule la lampe de bureau Г©tait allumГ©e, Lizzie ne pouvait pas en ГЄtre sГ»re, mais Michaela semblait ne mГЄme pas avoir retirГ© sa tenue de la journГ©e, un uniforme de pom-pom girl.

Alors que Lizzie allait refermer la porte, elle remarqua quelque chose de bizarre. La jupe était au-dessous des cuisses de Michaela et son entrejambe était exposé. Cela paraissait déplacé, aussi épuisée qu’elle soit.

Lizzie se demanda si elle devait recouvrir son amie d’un drap. Vu le métier de Michaela, cette pudeur paraissait exagérée. De plus, personne n’allait entrer dans sa chambre sans la prévenir. Pourtant, Lizzie avait été éduquée dans une école de filles catholiques et elle savait que, si elle ne faisait rien, elle le regretterait toute la nuit.

Donc, elle ouvrit doucement la porte, entra et alla silencieusement jusqu’au bord du lit. À mi-chemin elle s’arrêta brusquement. Maintenant qu’il n’y avait plus d’obstacle, elle voyait les trous béants que Michaela avait à la poitrine et au ventre.

Une mare de sang épaisse et humide avait suinté de l’uniforme tailladé et entourait tout son torse en imprégnant lentement les draps de lit. Michaela avait les yeux fermés et serrés, comme si les garder fermés avait pu la protéger contre ce qui lui était arrivé.

Lizzie resta immobile plusieurs secondes, ne sachant comment réagir. Elle avait la sensation qu’elle aurait dû crier, mais sa gorge venait de s’assécher brusquement. Son ventre gargouilla et elle craignit brièvement de vomir.

Avec l’impression d’être dans un rêve étrange, elle se retourna, sortit de la chambre et retourna dans la cuisine, où elle se versa un verre d’eau. Quand elle fut sûre de pouvoir parler, elle appela la police.


*

Le rendez-vous se passait bien.

Quelque part dans sa tête, Jessie commença à se demander si ça allait arriver ce soir. Elle craignait presque de le désirer. Sa relation avec Ryan était la chose la plus stable de toute sa vie pour l’instant et elle avait peur de la compliquer de quelque façon que ce soit.

Elle avait passé la plus grande partie de la soirée au restaurant italien au charme kitsch à se plaindre de sa vie avec Hannah. Elle avait résumé sa conversation avec la docteure Lemmon et s’était lamentée de la lenteur de leurs progrès, alors qu’elles voulaient aider sa demi-sœur à s’ajuster à une vie à nouveau normale. Ce n’était que quand Ryan s’était excusé pour aller aux toilettes et que Jessie avait contemplé le restaurant qu’elle s’était rendu compte qu’elle avait été extrêmement égocentrique.

Le restaurant Miceli, établissement légendaire bien que kitsch de la Vallée de San Fernando, avait une lumière tamisée et romantique. L’atmosphère était d’autant plus intimiste que Ryan avait d’une façon ou d’une autre pris la seule table du deuxième étage, ce qui signifiait qu’ils bénéficiaient d’une sorte de balcon intérieur qui surplombait le reste du restaurant. Cependant, jusqu’à maintenant, Jessie s’en était tout juste rendu compte.

Ce qu’elle avait aussi failli ne pas remarquer avant qu’il n’aille aux toilettes, c’était qu’il avait à peine parlé de toute la soirée et s’était contenté de rester assis patiemment pendant qu’elle avait déblatéré sans fin sur ses problèmes domestiques en lui laissant tout juste placer un mot de temps à autre. En fait, maintenant qu’elle y pensait, elle ne se souvenait pas lui avoir posé une seule question de toute la soirée.

Alors que la culpabilité l’envahissait, elle le vit quitter les toilettes de l’étage du dessous et se faufiler habilement entre les nombreuses tables pour aller vers l’escalier. Pendant qu’il approchait, elle remarqua autre chose : presque toutes les autres femmes qui pouvaient lui jeter un coup d’œil impunément le faisaient. Qui aurait pu le leur reprocher ?

Cet homme était difficile à ignorer. Fort de quatre-vingt-dix kilos de ce qui ressemblait à du marbre, il mesurait un mètre quatre-vingt-deux, avait des cheveux noirs courts sans prétention et des yeux marron accueillants. Il marchait avec l’assurance tranquille d’un homme qui n’avait besoin d’impressionner personne.

De plus, si ces femmes avaient su comment il gagnait sa vie, elles auraient été encore plus intriguées. En tant que chef d’une unité spéciale de la Police de Los Angeles du nom de Section Spéciale Homicides (SSH en bref), il traitait des affaires qui étaient toutes à profil élevé ou qui attiraient beaucoup l’attention des médias et qui comportaient souvent plusieurs victimes et des tueurs en série.

De plus, il était ici avec elle. Il leur avait fallu longtemps pour en arriver là. Il était en train de terminer un divorce suite à six ans de vie conjugale. Jessie était célibataire depuis un peu plus longtemps. Son couple avait pris fin de manière plus dramatique, quand son maintenant ex-mari avait essayé de la faire accuser du meurtre de sa maîtresse. Quand elle avait découvert son plan, il avait essayé de la tuer. Actuellement, il était en prison dans le Comté d’Orange.

Ryan s’assit en face de Jessie et elle lui prit la main.

– Je suis désolée, dit-elle. J’ai complètement accaparé la conversation. Comment vas-tu ?

– Je vais bien, dit-il. Nous avons bouclé l’assassinat du magnat de la drogue aujourd’hui.

– Tu ne m’as pas demandé de t’aider, précisa-t-elle en faisant semblant d’être vexée.

– C’était clair et net. Nous n’avons pas vraiment eu besoin des services d’une profileuse hors norme pour ce cas-là.

– Quelle importance ? protesta Jessie. Tu peux quand même m’appeler. Au moins, ça nous permettrait de passer un peu de temps ensemble, même si j’aurais peut-être besoin de partir à un moment ou à un autre.

– Comme c’est romantique, dit-il. Se faire des yeux doux devant un cadavre, c’est l’idéal.

– On fait ce qu’on doit, dit-elle en haussant les épaules. De plus, pour ma dernière affaire, on m’a assignée à Trembley qui, sans vouloir lui manquer de respect, n’est pas exactement mon partenaire rêvé.

– Hé, dit Ryan en faisant semblant de protester, l’inspecteur Alan Trembley est un professionnel plein de mérite et tu devrais te sentir honorée de travailler avec lui sur toutes les affaires qu’on t’attribue.

– Il est assez barbant.

– Je n’aime pas que tu l’insultes, dit-il en essayant de prendre un air renfrogné. De plus, quand tu n’es pas là, ça me permet de préparer ton anniversaire tranquillement.

– Tu prépares quelque chose pour mon anniversaire ? demanda Jessie, sincèrement étonnée. Je ne croyais même pas que tu savais quand c’était.

– Je suis policier, Jessie. C’est un peu dans mes capacités. Je me serais bien passé de te révéler ça, mais il fallait que je m’assure que tu sois libre jeudi soir. Alors, ça te va ?

– Ça me va, convint-elle en rougissant légèrement.

Il lui rendit son sourire et elle sentit une vague de chaleur la submerger. En temps normal, si quelqu’un s’était soucié de trouver quand était son anniversaire et d’organiser quelque chose à cette occasion, cela aurait inquiété Jessie de manière irrationnelle. Cependant, d’une façon ou d’une autre, comme c’était Ryan, l’idée lui plaisait et allait même jusqu’à l’exciter.

Elle se demanda s’il prévoyait de lui offrir un cadeau intime en avance ce soir. Alors qu’elle allait le lui suggérer, le téléphone de son collègue sonna. Elle ne reconnut pas la sonnerie. Qui que ce soit, Ryan fronça les sourcils. Il articula �Désolé’ et prit la communication.

– Inspecteur Hernandez, dit-il.

Jessie regarda Ryan écouter la voix qui lui parlait à l’autre bout de la ligne. Son froncement de sourcils s’accentuait à chaque moment. Après avoir attendu sans parler pendant environ trente secondes, il répondit finalement.

– Mais la section de la Vallée est déjà là-bas. Ça ne sera pas trop tard ?

Il se tut pendant que l’autre personne répondait. Au bout de vingt secondes, il reprit la parole.

– Je comprends. Je m’en occupe.

Alors, il raccrocha. Il contempla le téléphone pendant un moment comme s’il risquait de lui parler directement. Quand il leva les yeux, il avait le regard dur comme l’acier.

– Je déteste ça, mais il va falloir qu’on saute le dessert. Je dois aller enquêter sur une scène de crime et, si on ne part pas maintenant, on risque d’arriver trop tard.

Jessie avait rarement vu Ryan aussi mal à l’aise. Il fit signe à la serveuse pour attirer son attention, sortit des billets de son portefeuille et les lui tendit quand elle arriva en hâte.

– Trop tard ? demanda Jessie. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Ryan se leva et indiqua qu’elle devait en faire autant. Quand il répondit, il se dirigeait déjà vers l’escalier.

– Je t’expliquerai en route.




CHAPITRE QUATRE


Jessie se força à attendre.

Quelle que soit l’explication, Ryan était tendu et Jessie ne voulait pas aggraver la situation. Elle resta assise silencieusement sur le siège passager pour lui permettre de révéler ce qui se passait quand il se sentirait à l’aise pour le faire.

– Es-tu sûre que tu veux bien venir ? redemanda-t-il.

– Oui, lui assura-t-elle. Je viens d’envoyer un SMS à Hannah pour lui dire qu’on a une affaire et qu’elle ne devrait pas s’attendre à me voir revenir avant qu’elle se couche. On peut y aller.

– Tu aurais pu prendre un covoiturage depuis le restaurant, lui rappela-t-il.

– Je voulais venir, Ryan, insista-t-elle, se mordant à nouveau la langue pour se retenir de lui poser d’autres questions.

Il continua vers l’ouest sur Ventura Boulevard en s’enfonçant dans la Vallée. Après dix secondes de silence de plus, il commença finalement à parler.

– Bon, voilà. J’ai un contact dans la section qui me signale parfois des affaires que je devrais connaître.

– Pourrais-tu être un peu plus énigmatique ? demanda Jessie, incapable de se retenir.

– En fait, je n’en ai pas beaucoup plus à révéler, dit-il sans tenir compte de la remarque sarcastique de sa collègue. Il y a environ quatre ans, j’ai reçu un appel d’un téléphone jetable. La voix était modifiée numériquement. Celui qui appelait avait suggéré que le suspect principal dans le meurtre d’un riche homme d’affaires était victime d’une machination et que je devais chercher les raisons politiques du meurtre.

– Cet appel est venu de nulle part ? demanda-t-elle.

– Oui. J’étais un jeune policier, je n’avais pas grand-chose à perdre et j’ai suivi cette piste. L’affaire allait être abandonnée. De mon côté, j’ai commencé à poser des questions et, assez vite, le complot a été dévoilé. Il s’est avéré que l’homme d’affaires était un soutien et leveur de fonds essentiel pour un conseiller municipal local. Quand il est mort, le conseiller municipal a cessé de recevoir des fonds. Son adversaire a pu l’écraser financièrement et a remporté le siège. Finalement, nous nous sommes rendu compte que l’adversaire qui voulait être élu avait embauché quelqu’un pour éliminer l’homme d’affaires pour exactement cette raison-là, pour tarir la principale source de soutien financier de l’élu sortant. Il avait aussi fait accuser le suspect original pour que cela ressemble à un cambriolage non prémédité qui aurait mal tourné.

– Comment ton contact savait-il tout ça ?

– Aucune idée. Je ne suis même pas sûr que la source connaissait toute l’étendue du crime. J’ai supposé que cette personne, que je me suis mis à appeler Cathy la Bavarde, savait qu’il y avait quelque chose d’anormal, même si elle n’en comprenait pas tous les détails.

– Est-ce que la source est une femme ?

– Aucune idée, admit Ryan, mais disons que oui pour lui donner un nom. De toute façon, après ça, j’ai commencé à recevoir d’autres appels. Pas souvent, peut-être deux fois par an. Ils venaient toujours de téléphones jetables et la voix était toujours masquée numériquement. De plus, ils concernaient presque toujours des affaires qui paraissaient simples mais qui, si on les regardait de plus près, étaient plus compliquées.

– Donc, Cathy la Bavarde est une sorte de justicière ?

– Peut-être, dit Ryan avec moins d’assurance que Jessie, ou alors, ça pourrait être autre chose. J’ai remarqué que, dans la plupart de ces affaires, la vérité était peu reluisante et embarrassait des personnes puissantes. Dans de nombreux cas, je crois que nos supérieurs aiment mieux trouver une réponse facile que dévoiler des crimes crapuleux susceptibles d’impliquer des personnes influentes. En m’appelant, Cathy la Bavarde arrive à attirer l’attention sur des affaires louches sans se salir elle-même ou sans faire courir de risques à sa carrière. Même si son but est noble, je crois qu’elle y trouve aussi son compte.

– Donc, dans cette affaire, qu’est-ce qui l’a poussée à t’appeler ?

– Je ne sais pas, dit Ryan en tournant à droite, quittant Ventura Boulevard pour s’engager dans Coldwater Canyon Avenue. Elle ne me dit jamais pourquoi une affaire est douteuse, juste qu’elle l’est. Tout ce que je sais, c’est qu’une femme a été assassinée dans le pâté de maisons numéro treize mille de Bessemer Street à Van Nuys. Elle a été poignardée plusieurs fois au torse. Selon la théorie d’origine, ce serait un cambriolage qui aurait mal tourné ; le cambrioleur aurait cru qu’il n’y avait personne à la maison et aurait attaqué la résidente quand il l’aurait trouvée.

– Ont-ils un suspect ?

– Non, dit Ryan, mais, selon Cathy la Bavarde, les choses avancent vite. L’appel de la police ne remonte qu’il y a une demi-heure et le médecin légiste est déjà sur place, prêt à retirer le corps.

– Les policiers sont d’accord pour qu’il le fasse ? demanda Jessie, incrédule.

– Je crois comprendre qu’ils ne sont même pas encore arrivés sur place. Ce serait l’agent en uniforme de première classe qui aurait donné l’ordre.

– Quoi ? dit Jessie, interloquée. Ça va compromettre la scène de crime. Est-ce qu’on peut arrêter ça ?

– C’est pour cela que j’ai dit qu’il fallait qu’on parte tout de suite, répondit Ryan. Cathy la Bavarde dit que le médecin légiste essayait de ralentir le processus, mais qu’il nous reste environ dix minutes avant qu’ils soient obligés d’emballer le corps.

– À quelle distance sommes-nous ? demanda Jessie.

– Pas loin, dit Ryan en tournant dans une rue résidentielle envahie de lumières clignotantes. C’est ce bâtiment au milieu du pâté de maisons.

Ils se garèrent à quelques portes et sortirent. En se pressant d’avancer, Jessie ne put s’empêcher de remarquer que, malgré les lumières, il y avait moins de véhicules qu’elle n’aurait cru. Il y avait la camionnette du médecin légiste, une ambulance et deux voitures de police. D’habitude, un meurtre attirait au moins deux fois plus de voitures de police.

Quand ils approchèrent du bâtiment, l’unique agent en uniforme stationné à l’extérieur les observa d’un air méfiant. Ryan lui montra son badge.

– Que se passe-t-il, monsieur l’agent ? demanda-t-il.

Vu le peu de temps qu’ils avaient, Jessie fut étonnée que Ryan s’arrête pour poser la question. Le jeune agent Afro-Américain, qui ne pouvait pas avoir plus de vingt-cinq ans, avait l’air nerveux et son badge indiquait qu’il s’appelait Burnside.

– Monsieur, répondit-il d’une voix qui se cassa légèrement, nous avons une femme blanche de dix-sept ans qui a reçu plusieurs coups de couteau à la poitrine et à l’abdomen. Elle a été trouvée dans son lit par sa colocataire.

– Est-ce que les policiers de la Vallée sont arrivés sur place ? demanda Ryan.

– Non, monsieur.

– Qui commande ici, alors ?

– Cela devrait être mon chef, le sergent Costabile du poste de Van Nuys, répondit l’agent en tendant un doigt vers la droite. Il est à l’intérieur. C’est l’appartement 116.

– Merci, dit vivement Ryan, grimaçant légèrement en passant devant l’agent suivi de près par Jessie.

– Tu connais Costabile ? demanda Jessie en accélérant le pas pour ne pas se laisser distancer.

– Seulement de réputation, dit Ryan. Hank Costabile ne se contente pas d’être de la vieille école ; c’est un dinosaure et, d’après ce que j’ai entendu dire, c’est un pitbull.

– En fait, les pitbulls sont naturellement sympathiques, dit Jessie avec un peu d’indignation.

– D’accord, dit Ryan, mais tu vois ce que je veux dire. Il a la réputation d’être … difficile. Ça pourrait être moche, donc, prépare-toi.

– Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Jessie.

Cependant, avant qu’il ait pu répondre, ils atteignirent la porte. Un agent baraqué du nom de Lester se tenait juste devant la zone bouclée. Il avait l’air aussi méfiant que l’agent du dehors, mais moins nerveux. Jessie remarqua que Ryan ne lui montrait pas son badge.

– Cette zone est interdite, dit brusquement l’agent Lester. Police. L’agent stationné devant aurait dû vous le dire.

– Ah bon ? chuchota Ryan sur un ton étrange et peu policier. Que s’est-il passé ? Vous pouvez me le dire.

– Je n’en ai pas le droit, dit sèchement Lester. Êtes-vous un résident de ce bâtiment, monsieur ? On ne peut pas laisser les civils se promener sur une scène de crime.

– Oh non, ce serait inacceptable, convint Ryan d’un ton mielleux. Ce serait presque aussi mal qu’en retirer un cadavre avant que les policiers en fonction n’aient pu examiner la scène. Qu’en pensez-vous ?

En entendant cette question, l’agent plissa les yeux. Maintenant, il était entièrement conscient qu’il se passait quelque d’inhabituel.

– Qui êtes-vous, monsieur ? demanda-t-il d’un ton dont la brusquerie contenait maintenant un soupçon d’appréhension.

– Certainement pas un agent de la Vallée, dit Ryan d’une voix tonitruante.

– Monsieur … commença à dire l’agent, visiblement sidéré.

– Ça va, Lester, dit un policier chauve au torse puissant qui arriva derrière lui. Tu ne sais pas qui c’est ? C’est le célèbre inspecteur Ryan Hernandez du Poste Central. Tu peux le laisser entrer, mais assure-toi de lui demander son autographe avant qu’il ne parte.

– Sergent Costabile, je présume ? demanda Ryan en levant les sourcils.

– C’est ça, dit Costabile avec un sourire moqueur. À quoi devons-nous l’honneur de votre présence, inspecteur ? Vous voulez montrer à votre jolie amie aux longues jambes comment vit l’autre moitié des habitants de la Vallée ?

– Ma �jolie amie aux longues jambes’ est en fait la profileuse criminelle Jessie Hunt. Vous savez, c’est elle qui attrape les tueurs en série presque aussi souvent que vous les maladies vénériennes.

Il y eut un long silence gГЄnГ© pendant lequel Jessie pensa que Costabile allait tout simplement sortir son arme et abattre Ryan. Le sourire mauvais du policier disparut et fut remplacГ© par un air renfrognГ© mauvais. Au bout de ce qui sembla ГЄtre une Г©ternitГ©, le sergent laissa Г©chapper un gros rire bruyant et sans joie.

– J’imagine que je méritais ça, dit-il en jetant un coup d’œil à Jessie sans avoir l’air assagi, ne serait-ce qu’un peu. Je n’aurais pas dû avoir l’impolitesse de vous dédaigner, Mme Hunt. Votre réputation vous précède. Je ne peux qu’imaginer quelle loterie policière nous permet de bénéficier de votre génie singulier ce soir. Qu’est-ce qui vous emmène ici, si je puis demander ?

Jessie avait terriblement envie de répondre à la moquerie de cet homme avec quelques réflexions bien trouvées de son cru, mais elle ne voulait pas déranger le plan que Ryan semblait avoir prévu quel qu’il soit, donc, elle réprima son dédain.

– Je crains de ne pouvoir le dévoiler franchement, dit-elle d’un air désolé, mais je vais laisser l’inspecteur Hernandez vous révéler ce qu’il pourra.

– Merci, Mme Hunt, dit Ryan en jouant aisément le jeu de Jessie. Nous étions en train de conclure une interrogation aux alentours, puis on nous a avertis de l’existence de cette affaire. Elle semblait ressembler à une autre affaire sur laquelle nous enquêtons et nous avons pensé que nous devrions nous y intéresser en priorité.

– Vous pensez que c’est lié à une affaire sur laquelle vous travaillez ? demanda Costabile d’un air incrédule.

– C’est possible, dit Ryan. Pour tirer des conclusions sérieuses, nous devons examiner le corps. Bien sûr, nous ne voulons pas vexer les policiers déjà assignés. De qui s’agit-il ?

Costabile regarda fixement Ryan en remarquant son ton provocateur. Il était clair que Ryan savait qu’il n’y avait encore aucun policier sur la scène de crime. Costabile sembla se demander s’il fallait qu’il réponde sérieusement à la question manifeste de Ryan ou à la question sous-jacente qui demandait ce qui se passait exactement ici.

– L’inspecteur Strode devrait arriver bientôt, dit-il finalement d’un ton d’une politesse troublante. Cela dit, nous étions en train de préparer le corps pour examen chez le médecin légiste. Tout a l’air très simple. Nous ne voulions pas utiliser les ressources de la section sans que ce soit nécessaire.

– Bien sûr, bien sûr. Je comprends, répondit Ryan en utilisant la même politesse officielle mais non sincère que Costabile. Toutefois, nous devrions peut-être jeter un coup d’œil ici pour ne pas compromettre la scène. Il s’agit donc bien d’une adolescente poignardée dans son propre lit … combien de fois ?

Costabile rougit et sembla dГ©ployer des efforts immenses pour garder son calme.

– Neuf … d’après ce que nous savons.

– Neuf fois ? répéta Ryan. Cela me paraît beaucoup. Ça ne vous semble pas beaucoup, Mme Hunt ?

– Oui, ça paraît beaucoup, convint Jessie.

– Oui, beaucoup, ajouta Ryan avec emphase. Donc, nous devrions peut-être mettre les points sur les i avant d’enfouir la jeune fille dans un sac en plastique et de la faire voyager dans les rues pleines de nids de poule de la Vallée. Vous savez, juste par souci de minutie.



Il sourit gentiment comme s’il avait seulement parlé du temps qu’il faisait. Costabile ne lui rendit pas son sourire.

– Est-ce que vous prenez le contrôle de cette enquête, inspecteur ? demanda impassiblement le sergent sans réagir sur la moquerie des nids de poule.

– Pas à ce stade, Sergent. Comme je l’ai dit, nous voulons juste voir si ce meurtre correspond à notre autre enquête. Vous n’allez pas nous refuser l’accès au corps, n’est-ce pas ?

Cette question mena à un autre silence gênant. Jessie regarda un autre policier du nom de Webb arriver de l’intérieur de l’appartement et se placer juste derrière Costabile. Il tenait la main droite désagréablement près de l’étui de son arme. Quand Jessie jeta un coup d’œil derrière elle, elle vit que l’agent Lester avait maintenant franchi le cordon de la police et se tenait derrière eux en prenant la même posture avec la main dans la même position.

Costabile baissa le regard vers ses chaussures et ne bougea plus pendant plusieurs secondes. Ryan regardait fixement le haut de la tête de l’homme sans cligner des yeux. Jessie craignait de respirer. Finalement, Costabile leva le regard. Sur son front, une veine était gonflée. Ses yeux à moitié fermés luisaient de colère. Sans se presser, il les ouvrit complètement et son corps sembla se détendre légèrement.

– Entrez, dit-il en agitant la main en un geste exagérément accueillant.

Ryan avança et Jessie le suivit. Quand elle entra dans l’appartement, elle se rappela qu’elle avait le droit de recommencer à respirer.




CHAPITRE CINQ


C’était difficile de rester concentré.

Avec toute la testostérone qu’il y avait dans l’appartement, Jessie craignait encore un peu qu’une fusillade ne se déclenche à tout moment.

Elle traversa l’endroit en essayant d’oublier l’animosité qui couvait sous la surface. Elle avait besoin d’avoir les idées claires, maintenant. Le médecin légiste allait sans doute se concentrer sur l’état du corps et les techniciens de la scène de crime allaient chercher des éclaboussures de sang ou des empreintes digitales, mais elle devait être consciente de tout ce qui contribuait à la dimension psychologique de la victime. Même le plus petit détail pouvait mener au tueur.

L’appartement était assez générique. D’après le décor, on voyait que les deux résidents étaient des femmes, même si l’on n’avait pas précisé le sexe de la colocataire de la victime. L’une d’elles était visiblement beaucoup plus conservatrice que l’autre. Les tableaux affichés sur les murs étaient un mélange déroutant d’aquarelles, d’iconographie religieuse, de reproductions de Gustav Klimt et de photos provocantes de Mapplethorpe.

En parcourant le hall, Jessie eut clairement l’impression que la colocataire la plus outrancière était aussi celle qui avait le plus d’argent. Son style paraissait beaucoup plus dominant. Quand ils passèrent devant la petite chambre, Jessie jeta un coup d’œil à l’intérieur et vit une croix sur le mur au-dessus de la commode.

Donc, c’est celle qui pouvait se permettre de louer la grande chambre qui est morte.

Sans surprise, ils se rendirent Г  la grande chambre au bout du hall et Jessie y entendit des voix.

– Vous êtes prête, madame la profileuse criminelle ? demanda Costabile avec dérision.

– Elle a … commença à dire Ryan, mais elle le coupa.

– Je suis prête, répondit-elle.

Elle n’avait pas besoin que Ryan défende ses mérites professionnels et elle ne voulait vraiment pas subir un autre échange de testostérone pendant qu’elle essayait de se concentrer. Ignorant les hostilités qui se déroulaient derrière elle, elle inspira profondément et entra dans la chambre.

Avant même de regarder le corps, elle prit le temps d’inspecter la pièce. Il y avait d’autres décorations outrancières sur les murs et une lampe en boule disco à côté du lit. Dans le coin, une chaise était renversée sur le côté et des magazines étaient éparpillés au sol, ce qui suggérait qu’il y avait eu une lutte. Le bureau était presque vide, mais on voyait un rectangle propre entouré par une couche de poussière, ce qui indiquait à coup sûr qu’il y avait récemment eu un ordinateur portable à cet endroit.

– La télévision est encore là, remarqua Ryan, et la console de jeux vidéo aussi. Ça semble bizarre qu’un voleur laisse tout ça.

– Par contre, l’ordinateur portable a disparu, remarqua Jessie. Est-ce qu’on a trouvé un téléphone portable ?

– Pas encore, dit l’agent Webb.

– Avez-vous demandé son numéro à la colocataire pour qu’on puisse retrouver le téléphone ? demanda-t-elle en essayant de ne pas montrer son impatience.

– La colocataire a été un peu hystérique, dit Costabile. Nous avons eu du mal à obtenir autre chose que son nom, Elizabeth Polacnyk. Les urgentistes l’ont emmenée dans l’ambulance dehors. Ils allaient la mettre sous sédatifs.

– OK, dit Jessie, mais ne la laissez pas partir avant que nous ayons pu lui parler.

Costabile avait encore l’air en colère, mais il adressa un hochement de tête à l’agent Lester, qui était encore près de la porte d’entrée, pour qu’il transmette l’ordre. Quand il le fit, Jessie concentra finalement son attention sur la jeune fille qui était allongée sur le lit. Elle était déjà dans la housse mortuaire, mais cette dernière n’avait pas été refermée. Quand Jessie constata ce fait, elle fut furieuse.

– Est-ce que quelqu’un a pris des photos avant que son corps ait été dérangé ? demanda Ryan, posant à voix haute la question que Jessie avait en tête.

Un technicien de la scГЁne de crime leva une main.

– J’ai réussi à prendre quelques photos juste avant qu’on la mette dans la housse, dit-il.

Le médecin légiste adjoint assigné à l’affaire avança.

– Bonjour. Je m’appelle Maggie Caldwell. Nous avons essayé de retarder l’emballage, dit-elle d’un air désolé, mais on nous a ordonné de le faire tout de suite.

L’accusation resta dans l’air ambiant, non formulée.

– Comme je l’ai dit, dit Costabile de manière défensive, cette affaire paraissait toute simple et nous ne voulions pas gaspiller de ressources.

Jessie rГ©pondit en essayant de garder une voix calme.

– Je suis sûre que vous avez des décennies d’expérience sur ce travail, sergent, dit-elle, mais avez-vous l’habitude d’ordonner de déranger une scène de meurtre avant que les policiers n’arrivent, quelles que soient les ressources requises ?

– Le Bureau de la Vallée n’est pas aussi riche que vous, dans le centre-ville, aboya-t-il. Nous n’avons pas le luxe de pouvoir nous attarder tendrement sur tous les cadavres de fugueurs que nous trouvons.

À mesure que la colère de Jessie montait, elle se rendit compte qu’elle s’exprimait de plus en plus calmement et de plus en plus lentement.

– Je ne savais pas que, dans cette partie de la ville, les procédures de police accordaient maintenant plus d’importance aux économies budgétaires qu’à la résolution des crimes. J’aimerais vraiment voir où se trouve cette ligne dans les nouveaux règlements. De plus, je n’avais pas compris que les meurtres de fugueuses adolescentes ne méritaient pas une enquête. Ai-je raté la bonne journée de cours à l’école de la Police de Los Angeles ?

– Est-ce que vous remettez en question mon professionnalisme ? demanda Costabile en avançant d’un pas vers elle.

– Je ne fais que poser des questions, sergent, répondit-elle sans reculer. Si votre conscience vous suggère quelque chose d’autre, c’est à vous d’y réfléchir. Je voudrais souligner que, si cette fille est une adolescente fugueuse, elle se débrouille très bien. Il est clair qu’elle a un travail bien rémunéré qui lui permet de vivre dans un appartement de bonne taille, d’acheter des œuvres d’art et, d’après ses ongles et ses cheveux, de dépenser beaucoup d’argent dans des salons de coiffure. Êtes-vous sûr de ne pas tirer des conclusions trop rapides sur son passé ?

Costabile sembla ne pas savoir à quelle question répondre en premier. Quand il eut passé un moment à souffler d’un air agacé, il répondit.

– La fille a été trouvée dans un uniforme de pom-pom girl avec la jupe baissée. Pour moi, c’est très vulgaire. À mon avis, c’est une professionnelle.

– Et si la jupe avait été baissée par son assaillant ? se demanda Jessie à voix haute. Votre policier a dit qu’elle avait dix-sept ans. Et si elle avait été une pom-pom girl dans son lycée ? Ou alors une actrice en costume ? Sommes-nous certains qu’elle soit une vulgaire prostituée ? Vous semblez tirer beaucoup de conclusions pour un professionnel expérimenté des services de police, sergent.

Costabile fit un autre pas en avant. Il était maintenant face à elle. Jessie craignait que Ryan ne tente d’intervenir, mais il restait à l’arrière. Elle soupçonna qu’il savait ce qu’elle faisait. Costabile lui parla à voix basse.

– Donc, vous allez venir ici avec votre copain hipster et chic pour me dire que je fais mal mon travail ? On en est là, maintenant ?

Sa voix était presque un grognement, mais Jessie l’ignora.

– Si ça vous correspond, à vous de voir, chuchota-t-elle. De plus, si vous pensez que vous pouvez m’intimider avec vos nichons masculins et votre haleine à l’ail, vous vous trompez. J’ai fréquenté des mecs qui gardaient des parties de corps humain en souvenir, donc, vos tactiques de harcèlement de bas étage ne m’impressionnent pas. Maintenant, écartez-vous de moi.

Costabile gonfla les narines. Le vaisseau sanguin qu’il avait au front semblait être sur le point d’éclater. Jessie le regarda de près. Une partie d’elle-même voulait lui envoyer un coup de genou à l’entrejambe, mais son versant analytique était encore en train de le tester afin de déterminer exactement ce qui se passait ici et pourquoi la procédure n’avait pas été suivie. Il y avait quelque chose de très bizarre. S’il s’énervait assez, ce gars révélerait peut-être quelque chose par inadvertance.

Ils se toisèrent furieusement l’un l’autre. Costabile était accroupi et avait du mal à respirer ; Jessie était silencieuse et tendue. Si rester comme ça toute la nuit pouvait briser son adversaire, elle le ferait volontiers. Au bout de cinq secondes sinon plus, il expira intentionnellement sur Jessie, afficha un sourire forcé et recula d’un pas.

– Je dois dire, Mme Hunt, que vous êtes encore plus salope qu’on le dit.

– Comment s’appelle-t-elle ? demanda Jessie presque avant qu’il ait pu terminer son insulte.

– Quoi ? dit-il, interloqué par la vitesse de sa réaction.

– La fille, insista-t-elle en désignant le lit d’un hochement de tête. Connaissez-vous même son nom ?

– Elle s’appelle Michaela Penn, dit l’agent Lester pour sauver son supérieur d’un embarras potentiel. Nous sommes encore à la recherche d’informations, mais on dirait qu’elle allait à un lycée local de filles catholiques. Elle est devenue une mineure émancipée il y a presque deux ans de cela et elle a eu son bac en avance. Elle était serveuse à temps partiel chez Jerry’s Deli à Studio City.

– Merci, monsieur l’agent, dit Jessie avant d’ajouter une pique de plus pour le sergent Costabile. Ça a l’air vraiment vulgaire.

Elle se retourna et regarda vraiment Michaela de près pour la première fois depuis qu’elle était entrée dans la pièce. La première chose qu’elle remarqua immédiatement fut que cette fille avait vraiment l’air jeune. Même si elle avait dix-sept ans, avec ses cheveux foncés courts et sa peau pâle maintenant bleuâtre, elle semblait plutôt avoir quinze ans.

Jessie jeta un coup d’œil à une photo de la fille sur la commode et essaya de la réconcilier avec la forme sans vie allongée sur le lit. La Michaela que l’on voyait sur la photo était d’une beauté délicate et féerique. Elle rappelait à Jessie les filles des dessins animés japonais.

Ses yeux bleu profond étaient très grands mais sans émotion, comme si elle avait appris à cacher ses émotions longtemps auparavant. Seul le demi-sourire visible au bord de ses lèvres suggérait ce qui se cachait peut-être dessous. Elle faisait penser à un feu d’artifice non allumé, comme si elle attendait son heure, prête à exploser à tout moment.

– Pouvez-vous ouvrir la housse ? demanda Ryan en se rapprochant de Jessie.

Pendant qu’ils attendaient, il marmonna quelque chose à voix basse.

– Tu nous as définitivement mis à dos le policier en uniforme le plus influent de la Vallée. J’espère que ce que tu essayais de découvrir en l’insultant valait la peine, parce qu’il ne lâchera jamais le morceau.

– Le juré délibère encore, répondit-elle à voix basse.

Les policiers s’étaient écartés mais Maggie Caldwell, le médecin légiste adjoint, resta près de Jessie quand elle eut ouvert la housse.

– Désolée, dit-elle silencieusement. Je ne voulais pas toucher le corps, mais Costabile insistait pour qu’on fasse vite. Si vous étiez arrivés cinq minutes plus tard, elle aurait été dans la housse et dans la camionnette.

– Savez-vous pourquoi c’était si pressé ? lui demanda Ryan.

– Non, dit nerveusement Caldwell, mais je ne crois pas que c’était entièrement sa décision. Il a parlé au téléphone avec quelqu’un qui semblait lui donner des instructions. C’est quand il a raccroché qu’il a vraiment essayé d’accélérer les choses.

Jessie se rapprocha de la jeune fille. Son uniforme de pom-pom girl, rouge avec du texte blanc et des décorations noires, était générique. Le texte disait seulement : �Central H.S.’. La jupe était baissée sur ses cuisses.

– Lester a dit qu’elle avait déjà son bac, n’est-ce pas ? rappela Ryan. Donc, pourquoi cet uniforme ?

– Cela fait vingt ans que j’habite par ici et je ne reconnais ni cette école ni ces couleurs, dit Caldwell. Je ne crois pas qu’elles soient réelles.

– C’était peut-être un costume, suggéra Jessie. Les actrices sont souvent aussi serveuses.

– C’est possible, convint Ryan. Je déteste dire ça, mais Costabile pourrait aussi avoir raison. Ça pourrait être une tenue qu’elle portait pour … un client. Cela ne serait pas une nouveauté par ici.

Jessie hocha la tГЄte et formula sa propre thГ©orie.

– Quoi qu’elle fasse, si elle n’a pas de fonds fiduciaire, c’est plus que simple serveuse. Cet endroit est chic. Les décorations ne sont pas bon marché et il est clair qu’elle bénéficiait de soins complets de la peau et des cheveux et que cela supposait une assistance professionnelle. Elle n’avait pas de problèmes financiers. Savons-nous si elle a été victime d’une agression sexuelle ? demanda-t-elle à Caldwell.

– C’est trop tôt pour le dire. Nous en saurons plus demain.

– Nous devrions vraiment parler à la colocataire tout de suite, dit Ryan. Elle pourra peut-être nous dire si Michaela a reçu des menaces récemment.

Jessie acquiesça d’un hochement de tête et observa de plus près les blessures provoquées par les coups de couteau. Il y en avait cinq sur la poitrine et quatre autres à l’abdomen.

– Est-ce qu’on a trouvé l’arme du crime ? demanda-t-elle.

– Un couteau de boucher manque au service qu’il y a dans la cuisine, dit l’agent Lester, qui avait entendu la question. Pourtant, nous ne l’avons pas retrouvé.

– C’est bizarre, remarqua Ryan.

– Quoi ? demanda Lester.

– Eh bien, si c’est un cambriolage qui a mal tourné, on s’attendrait à ce que le coupable soit étonné de trouver Michaela dans sa chambre. Le désordre général que l’on voit dans cette pièce suggère qu’elle s’est débattue mais, si le coupable ne savait pas qu’elle était ici, pourquoi a-t-il pris le couteau ? J’ai du mal à croire qu’il soit reparti à toute vitesse dans la cuisine pour le prendre puis revenu dans la chambre.

– Il l’a peut-être assommée avant d’aller chercher le couteau, proposa Lester.

– Mais s’il l’a assommée et si c’était un cambriolage, pourquoi ne pas prendre les objets précieux et s’en aller ? se demanda Jessie à voix haute. À ce stade, il n’aurait rencontré aucune résistance. Il serait allé chercher un couteau, serait revenu dans la chambre et aurait poignardé une fille inconsciente neuf fois ? Cela ne fait pas penser à un comportement typique de voleur. C’est un crime de sang-froid. Et pourtant …

– Quoi ? demanda Lester.

– On a emporté un ordinateur portable, dit-elle en désignant le bureau vide d’un hochement de tête, et puis, nous n’avons pas son téléphone. Donc, elle a bien été cambriolée. La question est : le vol a-t-il été volontairement effectué après ? A-t-il été mis en scène ou ces objets ont-ils été emportés pour une raison spécifique ? Quoi qu’on dise sur cette affaire, elle n’est vraiment pas toute simple.

Cette dernière déclaration fit réagir Costabile, qui s’était tenu silencieusement dans le coin pendant les quelques dernières minutes.

– Je croyais que vous aviez fini de vous moquer pour quelques minutes, dit-il d’un ton acerbe, mais j’imagine que c’était trop espérer.

Alors que Jessie allait rГ©pliquer, Ryan intervint.

– Nous verrons ça plus tard, dit-il. Après tout, nous avons encore besoin de parler à la colocataire. Viens, Jessie.

Ils se dirigèrent vers la porte, mais Ryan s’arrêta juste au moment où ils partaient et, se penchant pour que seuls lui et Costabile puissent entendre, il lui marmonna une dernière chose.

– Je dois vous dire, sergent, que si vous pensez que nous avons fini de demander pourquoi vous traitez cette affaire de manière aussi hâtive et négligée, vous vous trompez lourdement. Je ne sais pas ce que vous cachez, mais cette affaire pue. Si vous pensez que vous pouvez nous empêcher de chercher la vérité, vous vous faites des illusions.

Costabile ne répondit pas à Ryan, mais il lui adressa de toutes ses dents un grand sourire malveillant qui suggérait qu’il avait une autre opinion sur la question.




CHAPITRE SIX


L’espace d’un instant, Jessie crut que la colocataire de Michaela était morte, elle aussi.

Malgré ce qu’avaient assuré les urgentistes, quand ils ouvrirent la portière de l’ambulance et essayèrent d’attirer son attention, elle ne réagit pas. Même quand ils l’appelèrent par son nom préféré selon l’urgentiste, Lizzie, elle ne remua pas. Ce fut seulement quand Ryan lui prit la couverture de survie dans laquelle elle était enroulée qu’elle se réveilla.

– Quoi ? demanda-t-elle d’une voix fatiguée et maussade.

La fille semblait avoir un peu moins de vingt ans. Même si Jessie n’avait pas vu la chambre de Lizzie, elle aurait deviné qu’elle avait une personnalité moins exubérante que sa colocataire. Ses cheveux marron étaient attachés et serrés derrière la tête et son maquillage était tellement discret qu’il en était presque invisible. Ses vêtements étaient conventionnels : un sweat de l’Université d’État de Californie et un pantalon. Elle portait un collier avec un crucifix.

Jessie regarda Ryan en fronçant les sourcils. Elle n’appréciait pas sa façon de faire. Cependant, Ryan haussa les épaules comme pour dire qu’il en avait assez d’être patient.

– Lizzie, commença Jessie de sa voix la plus gentille, nous enquêtons sur ce qui s’est passé et nous avons besoin de vous poser quelques questions.

– Ils m’ont donné quelque chose, dit Lizzie. Je me sens un peu bizarre.

– Nous comprenons, lui assura Jessie en l’aidant à se mettre en position assise, et nous allons bientôt vous emmener à l’hôpital pour qu’on vous examine. Cependant, nous avons d’abord besoin de vous poser quelques questions simples, d’accord ?

– Ouais.

– Comment avez-vous fait la connaissance de Michaela ? demanda Jessie.

– Nous sommes allées au lycée ensemble, dit Lizzie en parlant lentement et en se concentrant sur chaque mot. Elle l’a quitté vite, mais nous sommes restées en contact. Quand j’ai eu mon bac, nous avons décidé de devenir colocataires. Elle était une bonne colocataire.

Jessie jeta un coup d’œil à Ryan. La fille était vraiment claquée. Ils auraient du mal à lui soutirer des informations. Ryan leva les sourcils, agacé. Jessie réessaya.

– Lizzie, est-ce que Michaela a de la famille par ici ?

Avec un grand effort, Lizzie secoua la tГЄte.

– Est-ce qu’elle avait un petit ami ou quelqu’un avec qui elle aurait récemment cassé ?

– Pas de petit ami, répondit paresseusement Lizzie.

– Peut-être un collègue avec lequel elle aurait des problèmes ?

Les yeux de Lizzie, qui avaient Г©tГ© vitreux, se concentrГЁrent briГЁvement.

– Mick était serveuse, dit-elle catégoriquement.

– OK, répondit Jessie, étonnée par l’intensité de la réponse. Est-ce qu’elle avait des conflits avec quelqu’un là où elle travaillait ?

– Elle était serveuse, répéta Lizzie avec véhémence.

Jessie renonça et se tourna vers Ryan.

– Je crois que nous allons devoir attendre pour pouvoir lui parler. Ça ne mène à rien.

– De toute façon, je préférerais qu’on fasse comme ça, dit l’urgentiste, qui était resté à côté. Après ce qu’elle a subi et avec les médicaments qu’elle a pris, je préférerais vraiment qu’on l’examine.

– Allez-y, lui dit Ryan. Nous viendrons lui parler demain.

Ils regardèrent l’urgentiste sangler Lizzie à un brancard et fermer les portières de l’ambulance. Quand le véhicule s’éloigna dans l’obscurité nocturne, Jessie pensa à quelque chose.

– L’inspecteur de la Vallée n’est pas encore arrivé.

– En fait, je ne crois pas qu’il faudra que nous soyons ici quand il arrivera, remarqua Ryan. Je ne veux pas qu’il nous demande de préciser quelle ressemblance nous cherchons.

– Tu ne veux pas lui demander pourquoi il arrive avec un tel retard ? demanda Jessie, étonnée.

– Si, mais je crois que nous nous retrouverions confrontés au même refus qu’avec Costabile. Il faut que nous en sachions plus avant de nous en prendre à ces gens-là.

– Je comprends, dit-elle, mais, pour que les choses soient claires, nous pensons tous les deux qu’il se passe quelque chose de vraiment louche ici, d’accord ? Je veux dire, ce Costabile ressemble plus à un chefaillon de bande qu’à un sergent de police. Ou alors, il est peut-être le Don Corleone du Bureau de la Vallée.

Ryan la regarda, visiblement dérangé par ses mots, mais n’essaya pas de protester. Jessie décida de le laisser tranquille et continua à parler avant qu’il ne puisse répondre.

– Je ne crois pas que nous arriverons à trouver quelque chose d’utile ce soir, soupira-t-elle.

– Non. Nous devrons peut-être continuer demain matin. À ce moment-là, Lizzie sera capable de s’exprimer de façon cohérente, Caldwell saura peut-être de manière définitive si la victime a subi une agression sexuelle et nous pourrons voir si quelqu’un a essayé de mettre au clou l’ordinateur portable ou le téléphone de Michaela.

– OK, dit Jessie à contrecœur. Il y a une chose que nous savons avec certitude. Ta Cathy la Bavarde avait raison. Dans cette affaire, il y a vraiment quelque chose de louche.


*

Quand Jessie arriva Г  la maison, Hannah Г©tait rГ©veillГ©e.

Quand Jessie entra, la jeune fille détourna tout juste les yeux du film qu’elle regardait. Il était presque une heure du matin et elle avait école le lendemain, mais Jessie n’avait pas la force de se disputer avec elle.

– La soirée a été longue, dit-elle. Je vais me coucher. Peux-tu baisser le volume et essayer de dormir bientôt pour pouvoir tenir debout demain ?

Hannah baissa un peu le volume mais, autrement, elle ne répondit pas à sa demi-sœur. Jessie resta dans l’embrasure de la porte de sa chambre pendant un moment en se demandant s’il fallait qu’elle réessaye, mais elle décida finalement que cela n’en valait pas la peine et ferma simplement la porte.

Cette nuit, elle dormit d’un sommeil agité. Ce n’était pas rare. Pendant les quelques dernières années, presque toutes les nuits, elle avait eu des cauchemars sur un des hommes qui avaient menacé de la tuer. C’était habituellement un mélange de son ex-mari, son père et Bolton Crutchfield.

Cependant, cette nuit, comme souvent ces derniers temps, ses rêves se concentrèrent sur Hannah. Son esprit était rempli d’un tourbillon d’images déconnectées qui montraient parfois la jeune fille soumise à la menace d’un assaillant masqué et d’autres fois en train de marcher nonchalamment vers le danger.

Cependant, le rêve qui troublait le plus Jessie était le dernier. Hannah était assise à une table et elle souriait d’un air décontracté pendant qu’un serveur impossible à identifier lui donnait une assiette de membres humains découpés. Alors que Hannah levait une fourchette de chair humaine vers sa bouche, Jessie se réveilla en sursaut, trempée de sueur et respirant avec difficulté.

Les premiers rayons du soleil matinal entraient par une fente entre les rideaux. Jessie se redressa, passa les jambes par-dessus le cГґtГ© du lit et se prit la tГЄte dans les mains. Le sang lui battait dans les tempes et elle se sentait un peu nausГ©euse. Elle tendit la main vers son ibuprofГЁne et une bouteille de Pepto-Bismol en essayant de ne pas trop interprГ©ter ses rГЄves.

Elle savait par expérience que, souvent, ils étaient moins des prédictions que des manifestations de ses peurs. Elle avait ces rêves parce qu’elle avait peur pour l’avenir de Hannah, pas à cause de qu’elle deviendrait selon le destin.

Du moins, c’était ce qu’elle se disait.




CHAPITRE SEPT


MalgrГ© son Г©puisement, Jessie Г©tait trГЁs heureuse de repartir au poste.

Ce matin, elle avait réussi à faire partir Hannah avec seulement dix minutes de retard et elle avait pensé que, si elle ne rencontrait pas trop de circulation, elle pourrait encore arriver au travail avant l’heure de pointe. Elle voulait avoir du temps pour réfléchir tranquillement à l’affaire Michaela Penn, qui lui donnait une sensation plus désagréable à chaque fois qu’elle y elle revenait.

Pourquoi les policiers présents sur la scène de crime avaient-ils voulu expédier l’enquête à ce point ? Pourquoi l’inspecteur n’était-il pas arrivé plus vite, en supposant qu’il soit arrivé ? Pourquoi Cathy la Bavarde avait-elle appelé Ryan ? Jessie avait fortement l’intuition que c’était plus qu’un simple cambriolage qui avait mal tourné. Neuf coups de couteau, ça paraissait très personnel.

Pourtant, comme on le lui avait souvent rappelé lors de la formation de dix semaines qu’elle avait suivie à l’Académie du FBI, l’intuition ne pouvait pas se substituer aux preuves. Ce n’était pas parce qu’une personne ou un scénario paraissait louche que cela prouvait quelque chose en soi. Pour Jessie, qui avait brillé à presque tous les tests qu’on lui avait fait passer à Quantico, la plus grande difficulté avait été d’assimiler ce point précis.

Quand elle arriva à son bureau à 7 h 33, il y avait encore peu de monde dans la grande salle du poste. Comme elle savait que cela changerait dans environ une demi-heure, elle se mit au travail. D’abord, elle appela le Bureau du Médecin Légiste de la Vallée pour leur demander s’ils avaient des résultats. Maggie Caldwell n’était pas encore arrivée mais, selon Jimmy, qui répondit à Jessie, elle lui avait ordonné de communiquer toutes les nouvelles à la personne qui appellerait du Poste Central. Au moins, Caldwell ne semblait pas être complice de l’opération escargot que le sergent Costabile dirigeait.

Selon Jimmy, Michaela avait subi une agression sexuelle avant de mourir mais, apparemment, l’assaillant avait utilisé un préservatif puis nettoyé Michaela avec une sorte de désinfectant qui empêchait le prélèvement d’ADN exploitable. Ils attendaient de voir si des tests plus approfondis apporteraient quelque chose, mais il n’y croyait guère.

Ensuite, Jessie appela l’hôpital pour qu’on lui dise comment allait Lizzie. Pendant qu’elle attendait qu’on lui réponde, elle repensa à Hannah. Les similitudes entre elle et Michaela Penn n’avaient pas échappé à Jessie. Les deux filles avaient dix-sept ans. Elles avaient fréquenté toutes les deux des écoles privées de la Vallée de San Fernando. Elles semblaient toutes les deux avoir été forcées de grandir plus vite qu’elles n’auraient dû. Jessie ne pouvait s’empêcher de se demander quelles autres caractéristiques elles partageaient.

Une infirmière arriva au téléphone et arracha Jessie à ses pensées. Apparemment, Lizzie était encore sous sédatifs. L’infirmière dit qu’elle devrait se réveiller en milieu de matinée et suggéra attendre jusqu’à ce moment-là pour venir la voir.

Quand elle eut appelé le poste de Van Nuys, elle demanda à parler à l’agent Burnside, qui avait monté la garde devant l’immeuble d’appartements. De tous les policiers qu’elle avait rencontrés la nuit dernière, c’était celui qui paraissait le plus dérangé par la situation. Elle espérait qu’elle pourrait lui soustraire quelques informations. On lui dit que son service venait de se terminer, car il allait de 19 h à 7 h du matin. Par la gentillesse, Jessie arriva à convaincre le sergent du bureau de lui donner son numéro de téléphone portable. Son espoir de le trouver éveillé et encore au volant fut récompensé quand il prit la communication à la deuxième sonnerie.

– Allô ? dit-il timidement.

– Agent Burnside ? C’est Jessie Hunt. Nous nous sommes rencontrés hier soir à la scène de meurtre de Michaela Penn.

– Je sais qui vous êtes, dit-il d’une voix prudente.

Sentant sa grande méfiance, Jessie se demanda s’il fallait essayer de le mettre à l’aise ou juste accepter que la situation allait être désagréable. Elle décida que la franchise était la meilleure idée.

– Écoutez, monsieur l’agent, je sais que vous n’avez pas très envie de répondre à cet appel et je ne veux pas vous placer dans une situation difficile, donc, je serai brève.

Elle s’interrompit mais, comme l’agent Burnside ne disait rien, elle poursuivit.

– Je me demandais si vous aviez reçu des nouvelles du téléphone ou de l’ordinateur portable de Michaela. Quelqu’un a-t-il appelé ce téléphone ? Savez-vous si quelqu’un a essayé de mettre au clou le téléphone ou l’ordinateur ?

AprГЁs une pГ©riode de silence, Burnside rГ©pondit finalement.

– Je crois que vous devriez plutôt passer par les canaux officiels, Mme Hunt.

Il avait l’air embarrassé de le dire et Jessie décida de profiter de cette gêne.

– Je crois que nous savons tous les deux que ça ne marcherait pas, monsieur l’agent. On me baladerait de service en service pendant des heures. Écoutez, je ne vous demande pas de me dire pourquoi cette scène de crime a été gérée avec aussi peu de professionnalisme. Je ne vous demande pas d’expliquer pourquoi presque tous les policiers présents sur la scène du crime avaient l’air de se sentir coupables de quelque chose. Tout ce que je vous demande, c’est si le téléphone ou l’ordinateur portable ont été retrouvés.

Elle attendit et entendit presque le cerveau de Burnside fonctionner dans le silence qui suivit.

– Je ne vous ai rien dit, OK ? insista-t-il.

– Bien sûr que non.

– Nous n’avons pas encore retrouvé l’ordinateur portable. Nous attendons encore. Nous n’avons pas non plus retrouvé le téléphone, mais nous avons localisé son dernier emplacement, à quelques pâtés de maison de distance. Nous avons trouvé la carte SIM dans une ruelle, ou du moins ce qu’il en restait. Elle avait été écrasée et, apparemment, brûlée.

– Cela paraît être d’une minutie inhabituelle pour un voleur, vous ne croyez pas ? fit remarquer Jessie. On dirait que le voleur tenait plus à cacher les données de l’appel de Michaela qu’à garder son téléphone.

– Je ne sais pas quoi vous dire, Mme Hunt, répondit Burnside.

– Non, bien sûr. Comme cette conversation n’existe pas officiellement, que pouvez-vous me dire d’autre sur ce qui s’est passé la nuit dernière ?

Il y eut une pГ©riode de silence pendant que Burnside prГ©parait sa rГ©ponse.

– Je n’ai rien d’autre à vous révéler sur la nuit dernière, dit-il finalement, mais je peux vous dire que, dorénavant, il vaudra mieux que vous abandonniez cette affaire, Mme Hunt. Je vous le conseille. Je connais votre réputation et je sais que vous n’abandonnez pas facilement mais, dans ce cas-là, vous devrez peut-être changer d’habitude.

– Pourquoi ?

– Il faut que j’y aille, Mme Hunt, mais je vous adresse mes meilleurs vœux. Prenez soin de vous.

Avant qu’elle ait pu répondre, Burnside avait raccroché. Alors que Jessie se demandait si elle devait le rappeler, elle vit Garland Moses entrer dans la grande salle et se diriger vers l’escalier qui menait vers son minuscule bureau du deuxième étage. Comme d’habitude, le profileur légendaire avait l’image d’un professeur d’université négligé et distrait. Ses cheveux gris étaient décoiffés, ses lunettes risquaient de lui tomber du nez et sa veste de sport lui donnait l’air encore plus rachitique qu’il ne l’était déjà. Jessie se leva et le suivit.

– Bonjour, Garland, dit-elle en le rejoignant au bas de l’escalier et en montant avec lui. Vous ne devinerez jamais qui j’ai croisé hier.

– Vous ne devriez pas me défier comme ça, Mme Hunt, répondit-il en clignant de l’œil. Je gagne ma vie en devinant des trucs, vous savez.

– OK, dans ce cas, devinez, dit-elle pour le taquiner.

– Je dirais la docteure Janice Lemmon, dit-il nonchalamment.

– Comment le savez-vous ?

– C’est facile. Vous savez que je la connais et, quand vous l’avez appris, cette information a semblé beaucoup vous plaire. De plus, votre ton actuel d’écolière bavarde suggère que cette personne a selon vous une sorte de lien personnel avec moi. Cela limite énormément les possibilités. Donc, la docteure Lemmon.

– C’est très impressionnant, admit-elle.

– De plus, elle m’a appelé et m’a averti que vous aviez cherché à avoir des informations, dit-il d’une voix facétieuse.

– Je vois, dit Jessie, à qui cette pensée donnait le vertige. Est-ce que vous bavardez souvent au téléphone ?

– J’ai l’impression que j’ai été transporté dans un roman de Jane Austen et que vous êtes la protagoniste sournoise. Confirmez-moi que vous ne m’avez pas accosté rien que pour parfaire vos compétences de marieuse, Mme Hunt.

– Ce n’est pas la seule raison, Garland. J’ai effectivement une faveur à vous demander.

– Laquelle ? dit-il quand ils atteignirent le haut de l’escalier.

– J’espérais vous présenter à ma demi-sœur, Hannah.

– Ah, oui, la jeune fille que vous avez arrachée au tueur en série.

– La jeune fille que vous m’avez aidée à sauver, corrigea Jessie. Sans votre suggestion, je ne l’aurais jamais retrouvée.

– Comment va-t-elle ? demanda-t-il sans relever le compliment.

– J’espérais que vous pourriez me le dire. J’ai pensé que nous pourrions organiser une sorte de rencontre décontractée et que vous pourriez juger par vous-même.

Garland regarda Jessie d’un air désapprobateur alors qu’ils approchaient de la porte de son bureau.

– Donc, vous voulez me présenter à elle sous un faux prétexte pour que je puisse la profiler parce que vous craignez qu’elle n’ait des tendances de tueur en série ?

– Je ne l’aurais pas vraiment dit comme ça, protesta Jessie, mais … oui.

– Cette idée me dérange un peu, dit-il à Jessie en ouvrant la porte. Je ne crois pas que ce soit honnête envers la jeune fille et je crains que cela n’entame la confiance mutuelle qui vous manque déjà cruellement.

– Comment savez-vous que …

– Toutefois, je dois admettre que je suis curieux de rencontrer cette fille. Elle a l’air passionnante. Je veux bien faire ça. Qu’elle ait traversé de tels événements et arrive encore à fonctionner, même modérément, c’est tout à fait incroyable. Je lui parlerai, je ne peux rien garantir de plus. Si vous acceptez ces conditions, ça m’ira.

– Je prendrai ce que je pourrai obtenir, dit Jessie.

– Très bien. Nous pourrons en reparler plus tard pour préparer quelque chose, dit-il avant de lui claquer la porte au visage.

En temps normal, Jessie aurait été offensée, mais elle décida de rester positive. Garland avait accepté de rencontrer Hannah et, quand il l’aurait fait, Jessie était sûre qu’il pourrait l’aider. Même inconsciemment, il finirait par la profiler. C’était dans son sang comme dans celui de Jessie.

C’était leur métier.




CHAPITRE HUIT


Quand Ryan arriva, Jessie avait mille idГ©es en tГЄte.

Elle avait passé le reste de la matinée à obtenir autant d’informations générales que possible sur Michaela Penn. Alors que Ryan venait tout juste d’atteindre son bureau, elle commença à le bombarder d’informations.

– Il y a quelque chose qui ne va pas chez cette fille, dit-elle avant même qu’il ait pu s’asseoir.

– Bonjour, Jessie, répondit-il. Comment vas-tu ?

– Bonjour, dit-elle avec un bref sourire pour sacrifier aux raffinements des interactions humaines. Comment je vais ? Je suis perplexe. Michaela Penn est une vraie contradiction. C’est une fille qui a eu son bac dans un lycée pour filles catholiques prestigieux avec une bourse et un an d’avance. Elle a été légalement émancipée à seize ans. Tout cela est très impressionnant, d’accord ?

– C’est vrai, convint Ryan, qui avait visiblement renoncé aux politesses.

– Cependant, si son émancipation lui a été accordée, c’est parce que son père, qui habite maintenant près de Lake Arrowhead, la maltraitait. Elle a réussi à prouver au tribunal qu’elle était mieux toute seule.

– Et sa mère ?

– Sa mère est morte d’un cancer des ovaires quand elle avait sept ans.

– Pas d’autre famille ? demanda Ryan.

– Pas en Californie.

– Où habitait-elle, alors ?

– Avant d’obtenir son bac précocement, elle logeait à l’école. Depuis, elle a connu trois appartements différents avant de se décider pour celui où on l’a retrouvée la nuit dernière. Les autres étaient beaucoup moins confortables.

– Dans ce cas, comment a-t-elle pu se permettre de louer cette chambre-là ? demanda Ryan.

– C’est une bonne question. Comme Lizzie a dit, elle était serveuse. Elle travaillait chez Jerry sur Ventura Boulevard et, selon son patron, elle ne travaillait qu’à temps partiel. Cela n’aurait jamais pu payer le loyer de l’appartement où elle habitait et encore moins toutes les œuvres d’art et tous les appareils électroniques que nous y avons vus.

– Est-ce que ses comptes de médias sociaux nous donnent des indices ? demanda Ryan en lançant finalement son ordinateur.

– Jusqu’à présent, non, admit Jessie. J’ai regardé ses pages Facebook, Instagram, Twitter, Snapchat, WhatsApp, Tumblr et Whisper et tout ce que j’ai pu trouver d’autre. Ce qu’on y trouve est très ordinaire : des selfies à la plage, des photos avec ses amies à des concerts, des mèmes amusants, des citations qui l’inspirent, des quantités de sourires ; personne n’a le moindre reproche à lui adresser. C’est presque … trop normal.

– Qu’est-ce que ça veut dire ?

– C’est difficile à expliquer. Je sais que les comptes de médias sociaux des gens sont conçus pour donner la meilleure image possible, mais les siens sont implacablement normaux ; ils ne contiennent rien de polémique, rien de révélateur, ils sont très impersonnels. Après avoir consulté tout ça, je n’ai pas eu l’impression de la connaître mieux qu’avant. J’ai eu l’impression d’être confrontée à un puzzle auquel il manquerait des pièces.

– Donc, dans ces informations, rien n’explique pourquoi quelqu’un aurait pu avoir envie de la poignarder plusieurs fois ? demanda sèchement Ryan.

– Non, dit Jessie sans se laisser influencer par son humeur. Elles n’expliquent pas non plus pourquoi un groupe de policiers essayerait de mettre fin à l’enquête avant qu’elle ait commencé. Au fait, ce matin, j’ai parlé à Burnside, l’agent qui montait la garde devant le bâtiment la nuit dernière. Il m’a quasiment suppliée de laisser tomber l’affaire. Il avait l’air sincèrement inquiet pour moi.

– Il pense peut-être que Costabile va essayer de te tabasser à la sortie de l’école.

Avant qu’elle ait pu répondre, le capitaine Decker passa la tête hors de son bureau et leur demanda d’entrer.

– Hernandez, Hunt, il faut qu’on parle un peu, je vous prie.

Jessie jeta un coup d’œil à Ryan, qui avait un air résigné au visage.

– Quoi ? demanda-t-elle.

– C’est sa voix des mauvais jours, dit-il en se levant. Je ne peux qu’imaginer ce que les agents du Bureau de la Vallée lui ont dit.

– Eh bien, je ne compte pas me laisser faire, dit Jessie en redressant le dos d’un air raide et en allant vers le bureau de Decker.

– Génial, entendit-elle Ryan marmonner silencieusement derrière elle ; elle fit semblant de ne pas l’entendre.

Quand ils entrèrent dans le bureau, ils trouvèrent le capitaine Roy Decker debout derrière son bureau. Il n’avait que soixante ans mais paraissait en avoir dix de plus. Maigre, presque chauve et les joues creuses, il avait plus de rides que Jessie aurait pu en compter. Il contemplait son écran d’ordinateur avec un froncement de sourcils. Ses yeux perçants montraient une concentration intense et son nez long et pointu semblait désigner Ryan et Jessie d’un air accusateur.

– D’après ce qu’on me dit, vous vous êtes un peu amusés la nuit dernière, dit-il sans lever les yeux.

– Nous sommes tombés sur une affaire aux caractéristiques inhabituelles, dit vaguement Ryan.

– Eh bien, il paraît que votre implication a éveillé l’intérêt de certains de nos collègues du Bureau de la Vallée, répondit-il d’une voix inexpressive.

Jessie avait désespérément envie de répondre, mais l’expérience lui avait appris qu’il valait mieux laisser Ryan tâter le terrain en premier. Ses nombreuses années de service exemplaire lui avaient rapporté une bienveillance que Jessie n’avait pas encore gagnée.

– Monsieur, commença prudemment Ryan, je crois que leur intérêt a peut-être un rapport avec le fait que je les ai surpris en pleine incompétence sur cette affaire. Ils ont violé tous les protocoles. Ils allaient même emporter le corps avant l’arrivée de l’inspecteur assigné à l’affaire. Ce n’était pas leur meilleur jour.

– Ils ont oublié de préciser cela dans le rapport préliminaire, reconnut Decker. Puis-je déjà demander ce que vous faisiez là-bas ? Ce n’est pas vraiment votre juridiction.

– J’étais là-bas après le dîner et j’ai entendu parler d’une victime qui avait été poignardée plusieurs fois. Je suis toujours irrésistiblement attiré par cette sorte de chose et je me suis dit que Hunt pourrait m’aider à y voir clair, donc, je lui ai demandé de venir.

Decker lui jeta un coup d’œil. Jessie vit que la réponse lacunaire et générique de Ryan ne l’avait pas dupé. Elle pensa qu’il allait peut-être leur poser des questions sur la nature de leur relation, qu’ils avaient cachée jusque-là, mais il sembla changer d’avis.

– Eh bien, selon le rapport, tout a l’air très simple ; c’est un cambriolage qui a mal tourné. Donc, j’imagine que nous allons pouvoir passer à autre chose sans provoquer des conflits inutiles entre les commissariats.

– En fait, capitaine, dit Jessie en parlant pour la première fois, je ne suis pas sûre que ce soit aussi simple que ça.

– Bien sûr que non, dit Decker en donnant l’impression de sombrer encore plus profondément en lui-même. Allez-y, Hunt. Gâchez-moi ma journée.

– Ce n’est pas mon intention, monsieur, dit-elle en essayant d’être aussi diplomate que possible, mais, après examen de la scène de crime, il semble évident que ce n’est pas un simple cambriolage qui a mal tourné. Presque rien n’a été volé. La carte SIM du téléphone, qui a été volée, elle, a été complètement détruite. Le tueur est allé dans la chambre avec l’arme du crime, intentionnellement, semble-t-il. La victime a été poignardée neuf fois, ce qui ne correspond pas du tout au mode opératoire du cambrioleur d’appartements typique. De plus, même quand la jeune fille a été morte, l’endroit n’a presque pas été dévalisé. Je ne dis pas de façon catégorique que ce n’était pas un cambriolage. Par contre, je ne crois pas que ce soit un cambriolage tout simple.

Elle voulait continuer, dire que cette affaire puait terriblement. Cependant, elle jugea que cet ajout serait contre-productif et se tut.

Decker s’assit et ferma les yeux. Quand il ouvrit la bouche, elle était tordue par une grimace affligée.

– Que voudriez-vous que je fasse avec ces informations, Mme Hunt ?

– Capitaine, je crois que vous devriez nous permettre d’enquêter sur cette affaire. Le rôle de l’inspecteur Hernandez en tant que membre de la SSH lui permet de prendre le contrôle de toutes les affaires relevant de la compétence de la Police de Los Angeles, en fonction de ce qu’en pense la section. Voyons où ça mène. Donnez-nous la journée. Si nous ne trouvons rien d’intéressant, nous arrêterons.

Decker resta assis silencieusement pendant un moment, rГ©flГ©chissant Г  la proposition de Jessie.

– Malheureusement, ce n’est pas possible, dit-il en se tournant vers Ryan. Inspecteur Hernandez, on vient de m’informer que votre témoignage dans l’affaire criminelle Barton a été déplacé de demain à aujourd’hui. Il faut que vous soyez au tribunal à dix heures.

Jessie et Ryan Г©changГЁrent des regards dГ©couragГ©s.

– Capitaine, supplia-t-il, il n’est que huit heures trente. Permettez-moi de commencer à prendre le contrôle de cette affaire. Nous pourrons peut-être interroger la colocataire. Au moins, lançons le processus.

– Je ne peux pas faire tout ça. Je ne vais pas retirer l’affaire aux collègues de la Vallée. Sur un plan relationnel, ce serait inacceptable. Cependant, je peux vous proposer un compromis. Je vais annoncer au Bureau de la Vallée que la SSH veut travailler de concert avec eux, pour partager des informations et mettre en commun les ressources. Cela vous permettra d’avoir accès aux témoins et aux preuves.

– Mais nous avons besoin d’accéder à tout cela maintenant, monsieur, insista Jessie. Il faut battre le fer quand il est chaud.

– Hunt, pourriez-vous me laisser finir avant de me donner des cours de procédure ?

– Désolée, capitaine, dit Jessie en se reprochant silencieusement d’avoir contrarié l’homme qui pouvait le plus l’aider maintenant.

– Hernandez, préparez les papiers et assignez Hunt à votre affaire comme profileuse ; cela lui permettra au minimum d’assister aux interrogatoires, dit-il.

Alors, il se tourna vers Jessie.

– Hunt, cela devrait vous permettre de ré-interroger la colocataire. Quand la porte sera entrebâillée, les agents de la Vallée ne pourront plus la refermer si facilement que ça.

– Merci, monsieur, dit Jessie.

– Ne dépassez les bornes, Hunt, supplia Decker. Je sais que ce n’est pas facile pour vous, mais restez-en aux interrogatoires, à un travail que l’on peut attribuer à une �profileuse’. Vous serez seule pendant un moment, le temps que Hernandez sorte du tribunal. Comme vous n’aurez pas de policier pour vous protéger, vous devrez y aller plus doucement. Connaissez-vous ce concept, Hunt ?

– Vaguement, monsieur, dit Jessie en souriant. Merci.

– Ne me forcez pas à regretter ma décision, je vous en prie, dit-il en la suppliant presque.

Jessie répondit aussi honnêtement qu’elle le put.

– Je ferai de mon mieux.




CHAPITRE NEUF


Alors que Jessie attendait dans la chambre d’hôpital de Lizzie, la jeune fille se réveilla.

Elle regarda autour d’elle, visiblement désorientée. Jessie se leva et lui plaça un gobelet avec une paille aux lèvres. La jeune fille aspira l’eau avec voracité.

– Pouvez-vous parler ? demanda Jessie quand Lizzie eut fini de boire.

– Où suis-je ? demanda la jeune fille d’une voix rauque. Qui êtes-vous ?

– Vous êtes à l’Hôpital Presbytérien de la Vallée, lui dit patiemment Jessie. Je suis Jessie Hunt, de la Police de Los Angeles. Nous nous sommes rencontrées la nuit dernière, mais vous étiez sous sédatifs à ce moment-là. Est-ce que vous vous souvenez de la nuit dernière ?

D’abord, Lizzie eut seulement l’air perplexe, puis les souvenirs semblèrent revenir brusquement. Un instant plus tard, elle grimaça et ferma vigoureusement les yeux.

– Je me souviens de bien assez de choses, dit-elle silencieusement.

– Est-ce que vous vous souvenez de m’avoir parlé ?

– Pas vraiment.

– OK, dans ce cas, reprenons au commencement. Je suis désolée, mais les questions que je dois vous poser vont être difficiles. Pourtant, si nous voulons découvrir ce qui est arrivé à Michaela …

– Mick, corrigea Lizzie. Elle se faisait appeler Mick.

– Pour découvrir ce qui est arrivé à Mick, je vais être directe et j’aurai besoin que vous soyez honnête, OK ? N’essayez pas de protéger son souvenir en me cachant des informations importantes. Comme tout sera révélé un jour ou l’autre, autant que ce soit le plus vite possible. Est-ce que vous comprenez ?

Lizzie hocha la tГЄte.

– OK. Pour commencer, comment avez-vous fait la connaissance de Mick ?

– Nous sommes allées au lycée ensemble à St. Ursula Academy. Elle a eu son bac avec un an d’avance et nous avons un peu perdu le contact, mais nous nous sommes retrouvées il y a quelques mois. J’étudie à Cal State Northridge et elle ne voulait pas vivre au lycée. Elle avait un nouvel appartement et elle voulait bénéficier de la compagnie d’une colocataire. Donc, j’ai emménagé.

– C’est un très bel appartement, dit doucement Jessie. Comment avez-vous pu vous le permettre en tant qu’étudiante ?

– Je ne payais qu’un quart du loyer, surtout pour la chambre. Mick payait tout le reste.




Конец ознакомительного фрагмента.


Текст предоставлен ООО «ЛитРес».

Прочитайте эту книгу целиком, купив полную легальную версию (https://www.litres.ru/bleyk-pirs/la-liaison-ideale/) на ЛитРес.

Безопасно оплатить книгу можно банковской картой Visa, MasterCard, Maestro, со счета мобильного телефона, с платежного терминала, в салоне МТС или Связной, через PayPal, WebMoney, Яндекс.Деньги, QIWI Кошелек, бонусными картами или другим удобным Вам способом.



Если текст книги отсутствует, перейдите по ссылке

Возможные причины отсутствия книги:
1. Книга снята с продаж по просьбе правообладателя
2. Книга ещё не поступила в продажу и пока недоступна для чтения

Навигация